Le Baptême de Judas
affaire.
— Pas autant que tu le crois. Le moment était mal choisi. Tu devais d’abord retrouver la seconde part.
— Tu m’as jeté dans la gueule du loup, soupirai-je, trop sonné pour me mettre en colère.
— La situation l’exigeait. Ton entêtement a passablement compliqué les choses.
— Tu m’en vois désolé, répondis-je avec ironie. La prochaine fois, je me laisserai tuer pour ne pas te contrarier.
Il fut pris d’une nouvelle quinte de toux. Après quelques secondes, il avala une gorgée de vin et reprit un peu son souffle.
— Tu perds ton temps, dis-je sans hésiter. Tes plans sont trop tordus pour ma pauvre cervelle, mais je mourrai au moins en sachant que je les ai contrecarrés. La première part est en sécurité à Montségur et quand Esclarmonde constatera que nous ne revenons pas, elle s’assurera de la protéger. Tu ne mettras jamais la main dessus.
— Maintenant que les Neuf savent à quoi s’en tenir au sujet de Véran, je doute de pouvoir l’obtenir sans ta collaboration, en effet. Esclarmonde n’est pas femme à se laisser corrompre et elle a l’esprit plus fin que la plupart des hommes que j’ai connus. Je sais aussi très bien que ni Ugolin de Bisor, ni Eudes de Saint-Agnan, ni le comte de Foix ne me la livreront.
Norbert me toisa longuement.
— Je dois te convaincre de trahir les Neuf, toi aussi, murmura-t-il, songeur. Ce n’est pas ce que j’avais prévu, mais peut-être est-ce pour le mieux.
— Tu risques de mourir avant de réussir.
— Je sais. Heureusement, il existe quelqu’un qui peut le faire mieux que moi.
Il fouilla parmi les documents éparpillés sur la table jusqu’à ce qu’il trouve celui qu’il cherchait : un parchemin plié en quatre et cacheté par un sceau de cire rouge. Il me le tendit, mais je ne fis aucun geste pour le prendre.
— Cette lettre a été écrite à ton intention, insista-t-il. Comme tu peux le constater, son cachet est intact. Elle n’a jamais été ouverte. Son auteur savait que ce moment risquait d’arriver et j’ai toute confiance en son jugement. Prends-en connaissance, Gondemar. Ensuite, nous pourrons parler sérieusement.
— N’est-ce pas ce que nous faisons depuis le début ?
— Tu en as entendu beaucoup, certes, mais tu en sais encore peu.
Après une ultime hésitation, ma curiosité l’emporta sur mon orgueil. Je saisis le document et en brisai le sceau. Je le dépliai pour découvrir plusieurs feuillets couverts d’une écriture volontaire et élégante.
La vue du premier mot m’ébranla jusqu’au plus profond de mon être.
Jouvenceau ,
Au fond, je n’aurais pas dû être surpris. Mes soupçons ne faisaient que s’avérer exacts. Car si Véran avait été en position de rapporter mes faits et gestes au sein des Neuf, il ne me connaissait que depuis trois ans. Le seul qui avait pu fournir toutes ces informations sur ma jeunesse et ma route vers le Sud était Bertrand de Montbard.
Mes mains se mirent à trembler et je subis un long moment de tourment avant d’être capable de lire la suite. Norbert m’observait en buvant lentement, sans rien dire. Il attendait.
En écrivant ces mots, je souhaite de tout mon cœur que la destinée t’épargne d’avoir à les lire. Mais je connais mieux que personne ta satanée tête de mule et je sais que seule la mort t’empêchera de mener à leur terme les responsabilités du Magister des Neuf. Pour la première fois depuis le jour où je t’ai connu, je voudrais que tu sois un lâche et que tu aies tourné le dos à tes obligations.
Je tiens d’abord à coucher sur ce parchemin ce que je n’ai jamais su te dire : je t’aime comme un père aime son fils, Gondemar de Rossal. Je t’ai vu grandir. Je t’ai modelé de mon mieux. J’ai fait de toi un guerrier, mais aussi un homme. Non seulement parce que ton père m’en avait confié l’obligation, mais par amour. Malgré tes écarts et les déceptions que tu m’as causées, je n’ai jamais perdu espoir qu’un jour tu me ferais honneur. Si tu lis cette lettre, c’est que tu l’as fait. J’espère seulement que tu pourras en dire autant de moi.
Je t’écris avant notre départ pour Toulouse. Nous venons de mettre au point notre plan pour occire ce maudit excrément de Montfort. Evidemment, les autres t’ont cru. Tu es leur Magister et tu as parlé sous l’abacus. Ils n’ont aucune raison de douter de toi. Mais moi,
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