Le Baptême de Judas

visage ridé, dévoilant les quelques chicots noircis qui parsemaient encore ses gencives.
    —    Je t’écoute, parvins-je à éructer, trop ébranlé pour m’enrager.
    Il se leva avec difficulté et contourna la table pour venir me
    rejoindre. Puis il posa la main sur mon épaule et me fixa avec sérieux.
    —    Je t’offre la rédemption, mon frère.
    —    Tu n’es pas le premier, rétorquai-je, amer. Il semble que je croise tous ceux qui croient en détenir le secret.
    —    Lors de ton admission dans l’Ordre des Neuf, tu as juré de protéger la Vérité, dit-il avec grande solennité. Ce serment est-il toujours valide ?
    —    Ma présence ici ne le prouve-t-elle pas ?
    —    Si je te révèle le Secretum secretorum, tu auras atteint le point de non-retour. Dès lors, tu n’auras d’autre choix que la loyauté jurée ou la mort immédiate. Entends-tu bien cela, mon ami ?
    —    Et si je refuse de l’apprendre ?
    —    Il ne te restera qu’une option : la mort.
    Je haussai les sourcils. La décision n’était pas difficile à prendre.
    —    Je place ma confiance en Bertrand de Montbard. Il a peut-être joué un jeu qui m’échappe, mais il a été et sera toujours mon maître.
    —    Bien.
    Je ramassai le médaillon de la mendiante et le remis à mon cou. Norbert retournait s’asseoir lorsqu’un grand fracas retentit de l’autre côté de la porte. Le choc des épées mit une fin abrupte à notre conversation.

Chapitre 16 Arcana arcanorum 1
    Au son des armes, je bondis sur mes pieds et, d’un geste vif, j’empoignai Norbert. Peu importe qui attaquait son repaire, le vieil homme représentait la seule monnaie d’échange dont je disposais. J’encerclai sa gorge de mon bras gauche et appuyai ma main droite sur sa nuque. Ainsi, il me suffisait d’appliquer un peu de pression vers l’avant pour lui briser le cou aussi facilement qu’un brin d’herbe.
    —    Si tu bouges, tu meurs, dis-je.
    —    J’en suis conscient, rétorqua-t-il calmement.
    Puis il soupira avec une infinie lassitude.
    —    Quel dommage, Nous étions si près,
    À l’extérieur, le vacarme enfla à mesure que les combattants s’approchaient. Soudain, un tonitruant cri de colère retentit, poussé par une voix que je connaissais bien. La porte fut littéralement arrachée de ses gonds et Jacques de Payraud vola dans la pièce pour atterrir lourdement sur le dos, quelques coudées plus loin. Dans l’embrasure se profila la silhouette colossale d’Ugolin, les poings fermés sur les cuisses, la tête inclinée comme un taureau enragé, la lèvre supérieure retroussée sur les dents. Malgré la pénombre, je pouvais deviner le demi-sourire réjoui qu’il arborait toujours lorsqu’il se bagarrait et je ne pus retenir celui qui se forma sur mes propres lèvres. Le géant franchit à grands pas la distance qui le séparait de Payraud et, avant que celui-ci ne puisse se remettre debout, il lui écrasa cruellement le poignet droit avec son talon pour lui faire lâcher l’épée qu’il tentait de brandir. Malgré lui, Payraud laissa échapper un grognement de douleur. Puis Ugolin s’abattit sur lui pour le marteler de coups qui auraient assommé un bœuf.
    Dans le corridor j’aperçus Roger Bernard, Eudes et Odon qui se colletaient avec six templiers. Foix et Eudes tenaient une épée, sans doute arrachée à un assaillant, et faisaient appel à toute leur science pour repousser leurs adversaires. Odon, lui, brandissait une masse d’armes d’apparence très ancienne et rouillée qui semblait trop lourde pour lui. Malgré cela, il venait de broyer le genou de celui qui lui faisait face.
    De toute évidence, mes compagnons avaient trouvé le moyen de surprendre leurs geôliers et étaient parvenus à me retrouver, mais ils avaient été rattrapés. Ils tenaient bon cependant et vendaient chèrement leur peau, comme toujours. Malgré cela, leur situation était sans issue. Nous ignorions combien de templiers résidaient dans cet endroit et nul doute que l’alerte était déjà donnée. D’autres surgiraient sous peu. Et même si nous prévalions, il nous faudrait encore trouver nos montures et sortir de cet endroit. Nous ne nous en tirerions jamais vivants. À moins, bien sûr, que nous ne marchandions la vie de Norbert, qui avait visiblement beaucoup de valeur à leurs yeux.
    Ce fut Payraud qui résolut la question. Entre deux coups de poing au visage, il constata