Le Baptême de Judas
veux.
Avec des gestes lents qui impatientaient fort mes geôliers, je détachai mes braies et en extirpai l’instrument de mon besoin. Je me soulageai en laissant échapper un soupir exagéré de satisfaction. Je m’assurai de diriger le jet vers les chausses du petit gros et les aspergeai abondamment. Le faciès de l’homme s’empourpra de déplaisir, alors que les deux autres essayaient de réprimer le fou rire qui s’emparait d’eux.
J’en fus quitte pour un coup de poing qui interrompit mon soulagement et m’envoya choir sur le sol. Pendant que ma victime considérait ses chausses trempées, un autre garde m’immobilisa et le troisième me tordit douloureusement les bras dans le dos pour rattacher les fers à mes poignets. Il les serra si bien qu’ils me meurtrirent les chairs. Puis, pour faire bonne mesure, il m’enfonça son genou dans les côtes à quelques reprises.
— Arrange-toi pour être à cheval dans cinq minutes, gronda mon soldat aux pieds trempés de pisse, la voix tremblante de colère. Sinon, par la queue du diable, je jure que je t’attacherai par les pieds au mien et que je te traînerai jusqu’à ce soir.
— Tu peux, mais je doute que sire Alain et sire Guillaume l’apprécient, répliquai-je, le sourire aux lèvres malgré l’élancement qui me traversait les côtes.
Il ramassa mon plat et, le visage cramoisi de colère, s’en fut, me laissant en compagnie des deux autres. J’eus la satisfaction de le voir se secouer les pieds avec dégoût dès qu’il s’estima assez loin de ma vue, croyant préserver un peu de sa dignité. J’allais demander à ceux qui restaient de me donner un coup de main pour me mettre en selle lorsqu’un grand fracas retentit tout près. Un cheval avait rué et un soldat gisait maintenant par terre, gémissant, une épaule distinctement plus basse que l’autre. Sans réfléchir, mes deux gardes m’abandonnèrent pour porter secours à leur compagnon. Je vis aussi Pernelle se lever et se diriger vers le blessé.
Je m’approchai de Sauvage. Il avait été nourri, mais personne n’avait jugé bon de le soulager de sa selle pour la nuit. Il tendit le museau afin de recevoir une caresse, mais mes fers m’empêchèrent de la lui donner. Je considérais comment je pourrais arriver à l’enfourcher sans aide lorsqu’une main se posa sur mon épaule et me fit sursauter. Je me retournai, prêt à éviter de nouveaux sévices, mais me retrouvai face à face avec Ugolin. Son visage était couvert de coupures et d’ecchymoses encore fraîches et sa paupière droite fermait à moitié son œil. Malgré cela, il souriait à pleines dents.
— Tu as besoin d’aide, on dirait, dit-il.
— Tu as les mains liées, toi aussi, répondis-je.
— Vrai, mais comme je ne suis pas aussi dissipé que toi, on me les laisse sur le devant. Je peux te faire la courte échelle.
Il se pencha et laça ses doigts ensemble. J’y posai le pied et il me souleva sans effort pour me déposer sur le dos de Sauvage.
— Merci, dis-je en le regardant du haut de ma monture.
Pendant quelques secondes, ni l’un ni l’autre nous ne sûmes
quoi dire pour remplir le silence inconfortable.
— Tu as échappé à tes gardes ? finis-je par demander.
— Pas vraiment. Je leur ai dit que je voulais pisser et, comme tout le monde semble s’inquiéter du type qui vient de se faire ruer, j’en ai profité pour errer un peu.
— J’ai essayé la même chose, mais on ne m’a pas accordé ce privilège.
— Je sais, ricana-t-il, et j’ai bien aimé le résultat. M’est avis que l’odeur de ses chausses va rappeler longtemps au petit bout de lard les vertus d’une attitude plus accommodante.
Je ris un peu à mon tour puis le dévisageai et grimaçai.
— Ils t’ont salement amoché, mon pauvre ami.
— Bof, ce n’est rien de bien terrible, fit le Minervois en passant une main sur ses plaies fraîchement cicatrisées. Quelques coupures que dame Pernelle a refermées. Son maudit onguent qui pue fera le reste.
— De toute façon, les cicatrices ne changeront pas grandchose. Tu n’as jamais été très joli, plaisantai-je.
— Tu t’es regardé récemment ? rétorqua-t-il.
Nous rîmes de bon cœur pendant quelques instants, retrouvant avec un réel plaisir l’intimité qui avait été nôtre depuis trois ans. Puis son expression se fit sérieuse et il m’adressa un rictus
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