Le Baptême de Judas
autour de moi me révélèrent qu’il était le demi-frère de Montfort et, comme lui, un redoutable soldat. Je ne fus guère surpris d’apprendre qu’un autre membre de la famille maudite s’ajoutait à Guy et à Guiburge. Le laquais d’Innocent n’accordait sa confiance qu’à ses proches, et encore.
Avec les nouveaux croisés vinrent les habituels commerçants de tous acabits : les marchands de vin et de victuailles, les maréchaux-ferrants, les armuriers et les ribaudes. L’ordinaire des troupes en fut amélioré, mais pas le mien. Alors que des fumets alléchants montaient chaque soir des feux de camp, les soldats de Pierrepont me nourrissaient de pain sec, parfois agrémenté d’une tranche d’oignon ou d’un morceau de fromage, et m’abreuvaient d’une eau à la qualité souvent suspecte. On voulait que je me rende vivant à Carcassonne, mais on préférait que je ne sois pas en trop bonne santé.
Le soir venu, le convoi s’arrêta et on m’attacha de nouveau à un arbre. Mes gardiens m’abandonnèrent aussitôt, pressés de se trouver une putain à remplir et une outre à vider. On me laissa seul assez longtemps pour que je me demande si on m’affamait pour me briser un peu le caractère. Je compris qu’il s’agissait d’autre chose quand je vis un jeune homme contourner les feux pour venir vers moi. Je l’avais aperçu à la tête des troupes qui étaient sorties d’Orléans. Puis il avait rejoint Pierrepont, le jeune Guy, sa tante, Lambert de Thury et le vieux Jehan au début du convoi.
Je réalisai aussitôt que Guillaume des Barres n’avait rien en commun avec son demi-frère, sinon une confiance presque arrogante qui lui suintait par les pores de la peau. De taille moyenne, la musculature élancée, il avait la démarche aussi féline que celle de Montfort était lourde. Fruit du deuxième lit de sa mère, il n’avait que vingt-cinq ans environ. Ses cheveux châtains détachés reposaient sur ses épaules. Il portait une barbe soigneusement taillée et ses vêtements trahissaient une grande qualité sans pour autant tomber dans l’ostentation. Il suffisait de voir son regard pour comprendre que le jeune homme était déjà mûr pour son âge, et conscient de sa puissance sans ressentir le besoin d’exhiber son autorité.
Intrigué par ce contraste, je le regardai s’approcher. Il se planta près de moi et, les poings sur les hanches, me toisa longuement, un peu comme on évalue du bétail avant de l’acheter. Je lui rendis la pareille et attendis.
— Tu es Gondemar de Rossal, déclara-t-il enfin sur un ton neutre.
— C’est ce que mon père, ma mère et le curé du village m’ont toujours affirmé, rétorquai-je. Et toi, tu es Guillaume des Barres, le demi-frère du monstre.
Je haussai les épaules avec une insouciance étudiée.
— On ne choisit pas sa famille, je suppose, continuai-je. Tu devrais tout de même être prudent. Le problème, avec les hyènes comme Simon, c’est qu’elles se laissent caresser quand cela leur convient, mais que, l’instant d’après, elles mordent la main du pauvre niais qui leur a fait confiance. Parfois, elles l’arrachent.
Si l’insulte l’atteignit, il n’en montra aucun signe.
— Les vaincus décrient toujours ceux qui ont été plus fins qu’eux, répliqua-t-il sur le même ton badin.
Il fit un pas vers moi et, d’instinct, j’eus un mouvement de recul, certain qu’un coup allait suivre. Mais rien ne vint.
— On m’a raconté tes récentes frasques, dit-il. J’espère que tu t’es bien amusé. Sache toutefois qu’à compter de cet instant, à la demande expresse de mon demi-frère, je suis personnellement chargé de te mener jusqu’à Carcassonne.
— Tiens, il n’a confiance ni en Pierrepont, ni en son propre fils ?
— Disons qu’il a particulièrement confiance en moi. Sois donc avisé que Simon me laisse toute latitude quant à l’état dans lequel tu lui arriveras. À chaque incartade, je te couperai un doigt. Si cela ne suffit pas, je trouverai autre chose de plus. précieux. Tu entends bien cela ou dois-je t’en donner une démonstration dès maintenant ?
— Non, ça ira. On me dit assez intelligent. Mais si tu ne peux t’en empêcher, je te saurais gré de commencer par la main gauche, rétorquai-je avec insouciance. Elle est malencontreusement infirme et ne sert guère de toute façon. Quant à mon guilleret, on t’a sans doute appris qu’il
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