Le Baptême de Judas

camp. Thury aida le légat à se mettre en selle et je dus cacher mon amusement en le voyant s’asseoir en travers, comme une dame, les deux jambes pendant dans le vide. Pierrepont m’apporta une monture et je me mis en selle pour chevaucher vers la mort.
    —    Allons-y, dis-je avec le calme de celui qui accepte de se diriger vers l’échafaud où l’attend son bourreau.
    Le chef des croisés prit les devants, le légat à ses côtés. Pierrepont se plaça à ma gauche, des Barres à ma droite, et Thury derrière, Guy et Véran à notre suite. Notre petit escadron se mit en marche, mes ennemis allant vers ce qu’ils croyaient être la réussite, moi m’imaginant aller vers la mienne.
    Il ne nous fallut pas beaucoup de temps pour franchir la distance qui nous séparait de l’endroit où Odon avait déposé le document.
    —    Le dernier parchemin a été déposé là, dis-je en apercevant l’arbre que j’avais sélectionné. Tu le trouveras dans un tube de cuivre.
    —    Va le chercher, m’ordonna Montfort.
    Le groupe s’immobilisa. Je descendis de cheval et me dirigeai vers l’arbre, bien décidé à en finir au plus vite. Une fois sur place, je restai figé, comme si mon corps avait été tourné en glace. Le document n’y était pas. À la place se trouvait la tête d’Eudes, qui reposait dans une mare de sang, le regard vitreux, la bouche flasque, la langue pendant entre ses lèvres.
    Abasourdi, le cœur me remontant dans la gorge, je reculai de quelques pas incertains, incapable d’accepter ce que voyaient mes yeux. J’avais souvent croisé la mort et elle ne m’impressionnait plus depuis longtemps, mais, cette fois, ses implications étaient terrifiantes. La panique se répandit dans ma poitrine et me serra le cœur. Si l’on avait fait ça à Eudes, ce ne pouvait être que parce que mes compagnons étaient tombés dans un piège tendu par
    Montfort. Mais alors, qu’en était-il d’Ugolin ? D’Odon ? De Foix ? Et surtout, de Cécile ?
    —    Que signifie ? m’écriai-je, éperdu, me retournant vers Simon, sachant déjà que ma seule chance de sauver celle que j’aimais venait de me glisser entre les doigts.
    Le mécréant était descendu de cheval et souriait à pleines dents.
    —    Tu aimes ma petite surprise ? demanda-t-il, cynique.
    Autour de lui, Pierrepont, Thury et Guy éclatèrent de rire,
    comme des coquins fiers d’une bonne blague. Même le légat sortit de sa réserve habituelle pour sourire un peu. Ils savaient. Ils avaient prétendu que les choses se dérouleraient comme je l’avais voulu et s’étaient joués de moi par simple cruauté. Seul des Barres se tenait à l’écart des réjouissances. Sur son visage, je pouvais lire le dégoût de celui qui estime que l’honneur a été bafoué.
    —    Cécile. dis-je bêtement.
    —    Mais ne crains rien, voyons, ricana Montfort. Ta petite catin vaut son pesant d’or et j’en ai bien trop besoin pour l’abîmer.
    Il enfouit deux doigts dans sa bouche et produisit un sifflement aigu. Aussitôt, un bruit de galop monta. Une vingtaine d’hommes surgirent de derrière une colline et vinrent rejoindre leur chef, leurs montures faisant lever un nuage de poussière. Au milieu d’eux se trouvaient Ugolin, Payraud, Foix, Odon et Cécile. Les mains attachées derrière le dos, ils étaient tenus en joue par deux soldats chacun. Tous affichaient le même faciès misérable et défait.
    Un des soldats tendit à Montfort le tube de cuivre qui contenait le dernier parchemin.
    —    Tel qu’il a été ordonné, sire, dit-il.
    Le chef des croisés retira le bouchon et en tira le document, qu’il examina, une moue dubitative sur les lèvres, avant de le passer à Amaury. Le légat le lut attentivement en hochant la tête, puis le donna à Véran, qui s’était avancé.
    —    C’est bien celui de Pilatius, confirma calmement notre complice.
    Le templier n’avait d’autre souci que le succès de notre mission et jouait son rôle jusqu’au bout. Pour lui, la vie de Cécile, si elle avait son importance, n’était pas un facteur. Seul importait que la ruse du Prætorium soit menée jusqu’à son terme et que le légat reparte en croyant posséder enfin ce que l’Église cherchait depuis un millénaire. Ainsi, la Vérité serait en sécurité et son prix en vies humaines, déjà obscène, n’aurait fait qu’augmenter un peu.
    Je fermai les yeux, anéanti. Je m’étais gaussé trop vite et, en