Le Baptême de Judas

discuter avec le moine un moment ? demandai-je.
    —    Si tu souhaites te soulager la conscience, je peux très bien entendre ta confession, dit Amaury.
    —    Mes péchés ne concernent que Dieu et moi. J’aimerais m’entretenir avec lui d’une affaire personnelle.
    —    Très bien.
    Il fit signe à Guillot de s’approcher, ce que l’autre s’empressa de faire.
    —    Sire Gondemar désire te parler, l’informa le légat.
    Alors que je me levais, je tirai subrepticement le stylet que j’avais enfoui dans ma botte droite et le cachai dans la paume de ma main. Une fois debout, je dominai le moine de plus d’une tête.
    —    Tu te souviens de ce soir où tu es venu me lire la Bible pour me tourmenter ? lui demandai-je.
    —    Pour sauver ton âme, me corrigea-t-il en brandissant un index aussi rondelet que pompeux.
    —    J’ai longuement réfléchi à nos échanges.
    —    Vraiment ? fit-il, plein d’espoir.
    Feignant une amitié contrite, je posai ma senestre informe sur son épaule.
    —    J’aimerais t’offrir deux autres citations en guise d’adieu.
    —    Je t’écoute, rétorqua-t-il.
    —    D’abord celle-ci :  Exaltatio oculorum et dilatatio cordis, lucerna impiorum : peccatum 4 . Puis, celle-ci :  Si acuero ut fulgur gladium meum, et arripuerit iudicium manus mea, reddam ultio-nem hostibus meis et his, qui oderunt me, retribuam 5 .
    Je passai brusquement le bras derrière sa nuque et le tirai vers moi. D’un même geste, j’enfonçai la lame dans le gras de son menton, comme j’avais si souvent rêvé de le faire. Je la poussai aussi loin que je le pus, lui perçant le palais pour lui labourer la cervelle. Le moine écarquilla les yeux et émit un gargouillis, un sang chaud et abondant s’écoulant de sa bouche, me couvrant la main et maculant la soutane du légat. Puis il devint flasque. Je retirai mon arme d’un coup sec.
    Dès qu’ils réalisèrent ce qui se passait, Montfort, Thury, des Barres et Pierrepont accoururent, l’épée au clair, mais je laissai tomber le stylet et levai les mains.
    —    Tut, tut, tut. fit Simon en avisant le corps obèse à mes pieds. Voilà un beau gâchis. Tu avais caché cette arme. Je te croyais plus honorable.
    —    Un condamné à mort a bien droit à un ultime plaisir, non ? demandai-je. Et puis, nous avions une discussion à conclure et je tenais à avoir le dernier mot.
    —    Pour l’avoir, tu l’as eu ! ricana Montfort. Et il a dû être savoureux. Je t’envie. Le caquetage incessant de cet hypocrite me rendait fou.
    Il poussa le corps inerte avec son pied.
    —    Ramassez-moi cette ordure, ordonna-t-il.
    Peinant un peu, Thury et Pierrepont tirèrent la carcasse à l’écart. Guy, lui, était resté au loin et ne semblait guère apprécier le spectacle. Le légat, blême de peur, s’était levé et son regard effarouché alternait entre le moine et sa soutane souillée. Je fis mine de me rasseoir pour reprendre notre discussion, mais il recula de quelques pas.
    —    Sauvage ! cracha-t-il.
    —    Pas plus que tes croisés, répliquai-je en haussant les épaules avec indifférence. Sauf que pour moi, la barbarie n’assure pas le salut.
    Il s’éloigna presque au pas de course, me laissant me délecter de cette ultime satisfaction.
    Le temps qu’il me restait s’écoula sans qu’on m’adresse la parole. On me laissa le vin d’Amaury, mais je n’en bus pas davantage. Quand la mort viendrait, je voulais pouvoir la regarder en face, avec toutes mes facultés, comme un homme. Comme Bertrand de Montbard. Comme Ravier de Payns. Comme Jaume de Montdidier.
    Je laissai mes pensées errer au hasard, revivant les événements qui m’avaient conduit jusqu’à ma fin prochaine, songeant à ceux que j’avais aimés, revoyant mes erreurs et mes péchés. La danse de tous les visages qui étaient si souvent revenus me hanter ne me procurait plus que sérénité. À l’approche de mon dernier souffle, je réalisai que j’avais fait la paix avec moi-même et avec ma destinée.
    Quand je vis Montfort se diriger vers moi, je sus que le moment était venu. Je devais mener à son terme la quête qui m’avait été imposée.
    — Tes compagnons et la petite sont partis depuis deux heures, comme convenu, déclara-t-il lorsqu’il fut à mes côtés. Il te reste une petite formalité à remplir.
    —    En effet.
    Je me levai lentement. Montfort donna l’ordre de lever le