Le Baptême de Judas
détenaient les mots sacrés. Une fois encore, le seul fait que l’auteur les ait écrits trahissait son ignorance. S’il les avait possédés légitimement, il aurait su qu’ils ne devaient être échangés que de bouche à oreille, et uniquement pour convoquer un conseil. La devise des Neuf était connue des hommes de Montfort, elle aussi. Je ne devais pas être naïf : plus rien n’était secret.
Dans la lumière des flammes, je ne pus retenir une moue de mépris. On m’avait pris pour une outre à remplir. Ce message n’était qu’une pitoyable tentative de me manipuler. De toute évidence, quelqu’un l’avait concocté pour s’assurer que je me tienne tranquille jusqu’à Carcassonne, tout bêtement. Des Barres, Pierrepont et Guillot étaient sans doute ceux qui avaient intérêt à ce que je ne cause pas de problèmes. Par je ne savais quel moyen, ils avaient été jusqu’à manigancer avec les Templiers pour qu’ils jouent le jeu et me le remettent secrètement. La confrontation dont j’avais été témoin sur la route n’était qu’une lamentable mise en scène à mon intention.
Dégoûté, je secouai la tête. La ruse était si grossière qu’elle était risible. De toute évidence, on me croyait stupide et naïf au point de tomber dans une telle trappe. D’un geste rageur, je chiffonnai le papier et le jetai dans le feu. Il s’embrasa aussitôt et les flammes réduisirent en cendres mon dernier espoir d’avoir de l’aide. Si la Vérité devait être sauvée, ce serait par moi. Personne ne me viendrait en aide. Je m’en voulais d’avoir même imaginé que les Neuf aient pu apprendre ma situation. Leur seul lien potentiel avec moi était Jaume, et il avait été égorgé par Pierrepont.
Avec un peu de chance, Ugolin et Pernelle réussiraient à fausser compagnie aux croisés. Je serais seul. Et c’était bien ainsi. Les paroles de Métatron me revinrent en tête. Tu tomberas plusieurs fois. J’avais maintenant les deux genoux à terre.
12
Non pour nous, Seigneur, non pour nous, mais pour que ton nom en ait la gloire.
Chapitre 3 Échec
Lorsque nous reprîmes la route au matin, je fus confié à trois nouveaux gardes dont les excès de la veille se lisaient sur leur faciès. La paupière lourde, le visage se crispant en un rictus de souffrance au moindre bruit, ils cuvaient visiblement l’ample quantité de vin consommée durant la soirée et n’étaient pas d’humeur à me tourmenter. Ceci me convenait tout à fait, car j’avais besoin d’un peu de paix.
Le soleil de la fin mars était bon et l’air frais caressait mon visage. Je me laissais bercer par le rythme des pas de Sauvage tout en ressassant ce que je savais. La lettre de Montfort, que Pierrepont m’avait transmise, était claire :... tu accompagneras de ton propre accord sire Alain de Pierrepont jusqu’à Carcassonne. Là, tu me jureras fidélité. Tu te rendras à Montségur pour y récupérer les documents qui sont conservés dans le temple des Neuf et tu me les rapporteras. Pour m’assurer ta collaboration, j’ai cru bon de m’emparer de la très noble personne de demoiselle Cécile de Foix, à laquelle, dit-on, tu voues une affection toute particulière. Tu seras sans doute heureux d’apprendre qu’elle porte le fruit de votre fornication. À la moindre incartade de ta part, je les tuerai tous les deux.
En soi, ces mots ne prouvaient rien. Montfort pouvait avoir inventé la grossesse de Cécile pour m’attirer à lui. Mais Pierrepont m’avait ensuite montré une mèche de ses cheveux blonds et une bague en argent que lui avait donnée jadis sa tante Esclarmonde, qui portait la croix cathare, la croix templière et les lettres C et M.
Le sceau du Cancellarius Maximus. En y songeant, je laissai mon pouce glisser sur l’anneau de cheveux que je portais toujours à l’annulaire droit, et le caressai comme s’il s’agissait de Cécile elle-même.
Même une mèche blonde était chose facile à imiter, mais la bague ? À ma connaissance, il n’en existait qu’une, identique au sceau que la mendiante m’avait remis.
Si le chef des croisés possédait ce bijou, c’était qu’il détenait Cécile ou qu’il le lui avait volé. À moins qu’il en ait existé un autre, ou qu’il l’ait fait reproduire. Quant au fait que ma tendre amante soit grosse, je n’avais d’autre choix que de le croire sur parole. Mais les faits concordaient. J’avais pris Cécile pour la dernière fois en
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