Le Baptême de Judas
septembre et nos transports avaient été nombreux durant les semaines précédentes. À moins que ma semence ne fût aride, j’avais certes pu l’engrosser. Une fois à Carcassonne, j’en aurais le cœur net.
L’idée d’être un géniteur me causait des sentiments contradictoires. Depuis l’époque d’Odon, les enfants m’avaient toujours paru agaçants et malpropres. Des engeances à écarter. Mais je n’avais encore jamais eu de descendance et la seule pensée qu’une part de moi se perpétuerait dans la chair d’un autre me remplissait d’une satisfaction presque perverse. Quoi qu’il arrive, si cet enfant vivait, je ne mourrais pas tout à fait. Je déjouerais ainsi Dieu et son maudit archange. À moins, évidemment, que le Créateur ne décide d’éteindre la vie encore à naître. J’avais eu amplement l’occasion de mesurer sa froideur et, d’expérience, je savais qu’il n’hésiterait pas à le faire. En tout état de cause, l’existence de cet enfant représentait pour moi une pression additionnelle. Non seulement devais-je sauver Cécile, mais aussi préserver la vie à naître.
Le mystérieux message qui m’avait été remis ne changeait rien. Je n’avais ni avancé, ni reculé. J’en étais au même point qu’avant le passage des templiers. Je restais cependant lucide : quelle que soit l’issue de mon dilemme, mes chances de survie étaient minces. Si je lui livrais la Vérité, Montfort ne pourrait pas résister au plaisir de me tuer et je me retrouverais en enfer. Au mieux, j’aurais la satisfaction d’avoir sauvé la vie de Cécile. Rien, toutefois, ne me le garantissait sinon la parole du boucher, qui ne valait pas un crachat. Si, au contraire, je sauvegardais la Vérité, le résultat serait similaire : Cécile et moi serions sacrifiés. Ugolin et Pernelle y passeraient aussi, à moins qu’ils ne parviennent à fuir avant d’arriver à Carcassonne. Mais mon âme serait sauvée. C’était là l’alternative qui s’offrait à moi ; une bataille dont il était impossible de sortir vainqueur, à moins de changer les règles du jeu. Et j’avais beau me déchirer la cervelle, je ne voyais pas comment y parvenir.
Même pour les raisons les plus nobles, nul ne peut accepter la damnation éternelle sans sourciller. Si je ne pouvais l’éviter, j’acceptais mon sort, mais, d’ici là, je ferais tout en mon pouvoir pour m’en tirer tout en épargnant les autres. Au fond, peut-être était-ce ce que Dieu souhaitait ? Peut-être que le dilemme qui m’était imposé faisait partie du fardeau que j’avais à porter ? Peut-être s’agissait-il d’une épreuve ? Si oui, avait-elle une issue ? Métatron m’avait prévenu. Ta conscience t’accompagnera et te tourmentera sans cesse, avait-il dit. Tu vivras jusqu’à ce que la Vérité soit préservée ou perdue. Tu vivras avec le souvenir de tes morts et de tes fautes. Tu tomberas plusieurs fois. Puis tu te présenteras à nouveau devant ton Créateur pour entendre son jugement. Il me revenait de décider du sort de mon âme.
Malgré leur valeur, si les documents et le suaire disparaissaient, au moins la croisade contre les cathares n’aurait plus de raison d’être. Certes, elle se poursuivrait quelque temps encore, ne fût-ce que pour satisfaire les envies de rapine des soldats, mais une fois que le pape détiendrait ce qu’il avait tant convoité, il finirait bien par en décréter la fin. Des milliers d’innocents seraient ainsi épargnés. Vu sous cet angle, le fait de livrer la Vérité aurait, en définitive, des retombées bénéfiques. L’éternité dans le froid de l’enfer me paraîtrait moins pénible. Je n’aurais qu’à songer à ceux qui auraient survécu grâce à un choix éclairé de ma part. Mais peut-être me racontais-je des histoires. Métatron avait été clair : .tu devras protéger la Vérité et l’empêcher d’être détruite par ses ennemis jusqu’au moment où l’humanité sera prête à la recevoir. La directive était sans équivoque.
Je haussai les épaules et ricanai de dépit. À force d’être bousculé, déjoué, trompé, manipulé et trahi, j’étais devenu indifférent à mon propre sort. J’avais fini de m’apitoyer sur moi-même. Je ferais ce que je pourrais, du mieux possible. Le reste ne m’appartenait pas. Et je ferais face aux conséquences de mes choix. Était-ce là ce que Dieu avait souhaité ? Étais-je en train de devenir un homme meilleur ? Était-ce la
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