Le Baptême de Judas
près d’elle, me fouilla joyeusement les cheveux et le creux du cou avec son museau. Je la caressai distraitement du bout des doigts. J’enrageais. J’avais un urgent message à lire et voilà que je me retrouvais loin du feu, grelottant dans la nuit. La lumière de la lune ne me permettait pas de lire. Je devrais patienter malgré moi. En me contorsionnant un peu, je parvins toutefois à glisser le papier dans ma chausse. Là, contre ma cheville, il ne risquait pas de tomber par inadvertance et il était moins susceptible d’être découvert que dans ma main.
Je m’adossai à une roche et, malgré ma fébrilité, la fatigue fit son œuvre.
Il me fallut attendre encore une journée avant de pouvoir prendre connaissance du message. Nantier, qui était demeuré aussi vigilant qu’un chat guettant une souris, avait enfin été relevé de sa garde. Lui et ses deux compagnons avaient été remplacés par des soldats qui, à mon grand soulagement, s’avérèrent beaucoup moins consciencieux. Une fois le convoi arrêté pour la nuit, ils m’attachèrent près du feu avant de se précipiter sur une outre, qu’ils vidèrent avec enthousiasme, et de s’endormir comme des souches.
Allongé sur le côté, je restai immobile et, longtemps, je fis semblant de sommeiller. J’attendis que mes gardes soient enroulés dans leur couverture et qu’ils ronflent profondément avant de risquer le moindre mouvement. Un cheveu à la fois, je pliai la jambe sous ma capeline et rapprochai le pied de ma main. Du bout des doigts, je tirai le papier de ma chausse. Pendant d’interminables minutes, je me contentai de le garder serré dans ma main, n’osant pas le déplier de peur que le froissement attire l’attention. Il suffisait qu’un de mes gardiens s’éveille et soupçonne quelque chose pour qu’il s’en empare et que jamais je ne sache ce qu’il contenait. Pire encore, on se ferait un devoir d’alerter Guillaume des Barres. Si jamais la note m’annonçait une tentative de sauvetage, il en serait avisé et la saboterait.
Quand je me décidai, c’est avec une infinie prudence que je l’ouvris, m’interrompant au moindre crissement, me crispant à chaque changement dans le rythme des respirations de ceux qui m’entouraient. Lorsque le parchemin fut déplié, je l’inclinai vers le feu. Le cœur battant, je le lus enfin. J’y trouvai quelques simples phrases griffonnées à la hâte, dont une que j’avais moi-même prononcée à plusieurs reprises, à la fermeture de chaque conseil des Neuf. Des phrases qui, à elles seules, anéantissaient tous mes espoirs autant qu’elles jetaient la confusion dans ma pauvre cervelle saturée de mystères. Elles étaient suivies d’une signature que je n’aurais jamais cru revoir. Que je ne pouvais revoir. Car c’était la signature d’une femme morte depuis des mois déjà.
Lucifer,
Remets la première part de la Vérité à Montfort. Ton sacrifice ne sera pas oublié. Non nobis, domine. Non nobis, sed nomini tuo da gloriam 12 .
Cancellarius Maximus
Sous les paroles fatidiques qui m’ordonnaient de me soumettre à Montfort, l’auteur avait dessiné un sceau que je connaissais bien.
Sur le pourtour du sceau, on avait écrit les mots sacrés des Neuf: Secretum Templi. Une fois de plus, ils apparaissaient au grand jour, alors qu’ils ne devaient servir qu’à convoquer dans un murmure une réunion de l’Ordre.
En quelques phrases, on réduisait mes espoirs à néant. Non seulement ne m’annonçait-on aucun secours, mais on m’intimait de trahir. Je secouai la tête et fermai les yeux, à nouveau anéanti et seul au monde. Puis je me mis à utiliser ma cervelle beaucoup trop sollicitée depuis mon entrée dans les Neuf.
Le Cancellarius Maximus ne pouvait avoir signé ce mot. Cela allait de soi. La mendiante avait rendu son dernier souffle dans mes bras, après m’avoir lancé sur la piste de la seconde part de la Vérité. Celui qui avait usurpé son titre était fort mal informé. S’il avait espéré jouir de son autorité pour me donner un ordre, il avait erré. Son ignorance le trahissait. Quant au fait que la note était adressée au Lucifer et qu’elle reprenait la devise déclamée par les Neuf dans leur temple, au fond, cela ne signifiait rien. Pierrepont et ses hommes avaient usurpé la place des Neuf du Nord et, grâce à Jehan, ils avaient appris tous leurs secrets. Ils connaissaient les instructions au Magister aussi bien que moi. Ils
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