Le Baptême de Judas

de ma chemise pour dévoiler ma cicatrice et il écarquilla les yeux. Puis il se reprit et tira sèchement sur la chaîne.
    —    Debout ! Et ne t’avise pas de jouer au plus fin. Le plus petit prétexte fera mon affaire. Emmène ton cheval si tu ne veux pas aller à pied demain matin.
    Je ramassai ma couverture, me levai, pris les rênes de Sauvage et le suivis. Le soldat me tira vers l’avant du convoi, ce qui me convenait parfaitement. Plus je serais près de des Barres et des autres Montfort, moins on accorderait d’attention à mes compagnons.
    Rendu là, il m’ordonna de m’asseoir près de trois hommes qui m’attendaient. Puis il me repassa les fers et s’éloigna, non sans m’avoir lancé un ultime regard sombre.
    —    M’est avis qu’il ne m’aime guère, dis-je à mes gardes, qui ne jugèrent pas utile de me répondre.
    À la tête du convoi, un peu plus loin, j’aperçus des Barres, Guy, Pierrepont, Thury, Jehan et Guiburge. Le comte de Chalons m’adressa un élégant hochement de tête. Jehan me fit une moue embarrassée. Les autres me dévisagèrent, la haine dans les yeux. Guiburge, elle, se lécha lascivement les lèvres avant d’éclater d’un rire vulgaire.
    Tendu comme une corde de luth que le fils Montfort aimait tant pincer en chantant comme une mignonne, je ne pus fermer l’œil de la nuit. Le moindre craquement, le plus léger bruit me faisait sursauter et je devais me faire violence pour rester immobile afin que personne ne s’aperçoive que je ne dormais pas. Je ne savais à quel moment, ni comment, mais Pernelle et Ugolin tenteraient de s’échapper durant la nuit et j’étais fou d’inquiétude. Certes, le géant de Minerve était habile et plein de ressources. Il savait se mouvoir dans la nuit comme un chat et frapper aussi vite que l’éclair. La mort était une chose qu’il dispensait avec talent. Si quelqu’un pouvait protéger mon amie, c’était lui. Ancien messager, il connaissait les chemins du Sud comme le creux de sa main et, s’il parvenait à se rendre jusqu’à eux, il saurait en tirer profit pour trouver la sécurité. J’avais eu maintes occasions de mettre sa loyauté à l’épreuve et je la savais sans faille. Je connaissais aussi l’affection qu’il portait à Pernelle. Il donnerait sa vie pour elle sans la moindre hésitation.
    Mais rien de tout cela ne garantissait qu’ils parviendraient à fuir le convoi. Les croisés étaient aux aguets et ne cherchaient qu’une excuse pour assouvir leurs bas instincts. La seule pensée de ce que pourraient subir mes compagnons s’ils étaient pris en train de s’échapper me faisait frémir. Pernelle avait déjà trop souffert à cause de moi. Une fois encore, je maudis le sort qui était le mien et qui m’interdisait la prière. J’aurais voulu supplier Dieu de protéger mon amie, de bénir sa fuite. J’aurais marchandé avec lui s’il le fallait. Mais je n’en avais pas le droit. Quelque part, Métatron devait bien rire.
    Je vis enfin le soleil se lever entre les arbres qui encadraient la route. De toute évidence, j’avais fini par somnoler un peu, car une grande commotion me fit sursauter. Je me redressai brusquement, cherchant d’où provenaient les voix au ton acerbe. Mes trois gardiens étaient debout et regardaient vers l’avant. Je me levai et suivis leur regard. J’aperçus quelques hommes agités qui gesticulaient devant le comte de Chalons. Les poings sur les hanches, ce dernier les écouta patiemment puis leva la main pour leur imposer le silence. Il prononça quelques mots et le groupe de soldats se dispersa un peu. Je sentis un frisson d’horreur me parcourir l’échine.
    — Par la Vierge, je ne voudrais pas être à leur place, dit l’un de mes gardes sans quitter la scène des yeux.
    À genoux, au milieu des croisés, se trouvaient Pernelle et Ugolin. Ma tendre amie était intacte, mais le colosse, lui, avait été solidement malmené. Le sang qui maculait ses cheveux et le côté droit de son visage imbibait le col de sa chemise. Il dodelinait de la tête, comme s’il avait du mal à rester éveillé. Un homme posté derrière lui tenait fermement une dague sur sa gorge, prêt à la trancher au moindre mouvement. Ébranlé, je compris que ce que j’avais craint le plus s’était produit. Leur tentative de fuite avait échoué. Ils allaient maintenant devoir payer pour le geste que j’avais moi-même ordonné. Une fois encore, ceux que j’aimais seraient