Le Baptême de Judas
Gondemar. Je me targue d’entretenir avec autrui des rapports un peu plus civilisés et courtois que lui.
Je notai au passage qu’il m’avait appelé « sire ».
— Il faut croire que les belles qualités de Simon lui viennent de son père.
— C’est ce que je pense aussi, s’esclaffa-t-il. Aux dires de ma mère, Simon III n’était pas commode.
— Je dois par contre reconnaître que ton demi-frère sait combattre. Et le bougre a de la suite dans les idées. Je respecte beaucoup moins, en revanche, cette manie qu’il a de tuer femmes, enfants et vieillards, ou de torturer des innocents.
Le soupir de des Barres trahit une certaine tristesse.
— Simon a beaucoup changé depuis qu’il est dans le Sud. Il a toujours été un soldat dans l’âme, mais jusque-là il avait des principes. En Terre sainte, on raconte que son comportement était honorable.
— Une foi trop vive mène à tous les excès.
— Ceux qui sont de son côté y voient une qualité. Le pape le premier. Pour ses adversaires, il en va autrement.
— Évidemment. On dit que Monseigneur le légat l’apprécie fort.
— Et avec raison. Simon accomplit toutes les sales besognes pendant que le petit mignon ensoutané garde ses blanches mains bien propres.
— Un peu plus et je croirais entendre un hérétique, fis-je en exagérant mon étonnement.
— Point, répliqua Guillaume en haussant les épaules, un sourire en coin, mais je préfère me servir de ma cervelle et être lucide.
Je vidai mon gobelet et, sans que j’aie à le demander, il avança l’outre pour le remplir.
— On te dit guerrier redoutable, toi aussi, repris-je.
— Je sais tenir tête quand il le faut, admit-il. Et puis, j’aime combattre. Je suis certain que tu comprends cela.
Je hochai lentement la tête, songeur.
— Cet instant où l’on fait un avec son arme, où l’on n’existe plus que par l’instinct de survie, où les réflexes sont décuplés. dis-je, le regard perdu dans le vague. Il arrive un moment où on se sent invincible.
— Je vois que tu sais de quoi il retourne, fit Guillaume en hochant la tête, compréhensif.
— J’ai connu quelqu’un qui valait beaucoup mieux que moi et qui appelait cela la luxure du combat.
— Bien dit.
— Elle est un plaisir aussi vif que dangereux. Mais une fois qu’on y a goûté, il est difficile de s’en priver.
— En effet. Au contraire de mon demi-frère, cependant, je n’y prends point de plaisir excessif. La guerre est une chose laide, mais elle existe. Une fois pris dans son tourbillon, aussi bien la gagner, non ?
Il avala une gorgée, remplit son propre gobelet puis le posa sur le sol. Il tira Memento de son fourreau et l’admira dans la lumière des flammes.
— Cette épée est une vraie merveille, dit-il, d’un ton admi-ratif. L’arme de quelqu’un qui sait combattre.
— Je l’ai forgée moi-même.
— Alors tu as du talent, dit-il en laissant son pouce courir sur son tranchant avant de tendre le bras pour en tester l’équilibre.
— J’avais surtout un bon guide.
— Bertrand de Montbard ?
— Non. Dans ce cas-ci, Ravier de Payns.
— Celui auquel tu as succédé comme Magister des Neuf.
— Tu es bien informé.
— Cela t’étonne ? s’enquit-il.
— Pas vraiment. J’ai récemment eu l’occasion de mesurer l’ampleur des connaissances de mes adversaires.
Je tendis la main et cassai un bout de pain sec. Au même moment, un soldat passa près de nous et des Barres allongea brusquement le bras pour lui bloquer la voie avec Memento.
— Apporte quelque chose de mangeable à cet homme, je te prie, ordonna-t-il. Et une couverture, aussi.
Le soldat acquiesça et s’en fut d’un pas rapide.
— Une telle arme ne devrait pas être maniée par quelqu’un d’autre que celui qui l’a forgée, reprit-il. Lorsque tout sera fini, je verrai personnellement à ce qu’on te la rende.
— Pour ça, il faudra d’abord que ton demi-frère me laisse la vie.
— Oui, mais si tel est le cas, tu la reverras. Je t’en donne ma parole.
— M’est avis que, contrairement à celle de Simon, la tienne vaut quelque chose. Je t’en remercie.
Le comte de Chalons remit Memento au fourreau.
— Je suis curieux, dit-il, fronçant les sourcils et écartant une mèche de
Weitere Kostenlose Bücher