Le Baptême de Judas

punis à ma place.
    Des Barres hocha la tête, l’air contrarié. Apparemment, il n’appréciait pas la situation dans laquelle il se retrouvait. L’homme que j’avais mieux connu le soir d’avant n’était pas du genre à trouver satisfaction dans la violence, mais il était à la tête d’un ramassis de soldats et de brigands et connaissait bien les exigences de sa position. Responsable du captif le plus précieux pour Arnaud Amaury, il n’avait pas droit à l’échec. Il était aussi sous haute surveillance. Près de lui, Pierrepont avait un visage de cire. Il semblait curieux de voir si celui qui lui avait usurpé le commandement du convoi avait quelque chose dans les braies. Si des Barres ne faisait pas preuve d’une main de fer et ne châtiait pas les prisonniers comme ils le méritaient, son autorité serait en péril.
    Après un moment de réflexion, il donna quelques ordres secs. Aussitôt, l’un de ses hommes arracha la chemise d’Ugolin. Quelques soldats se détachèrent du groupe. L’un d’eux revint avec des câbles qu’il se mit en frais de passer aux poignets et aux chevilles du Minervois, qui fut ensuite projeté au sol, face contre terre. À demi-conscient, il ne broncha même pas. Pendant ce temps, d’autres hommes avaient détaché quatre chevaux des charrettes et les approchèrent. Mon cœur se serra lorsque je compris quel traitement on entendait infliger à mon ami. On allait l’écarteler. Même une force de la nature telle que lui risquait de ne pas y survivre.
    —    M’est avis que le gros gaillard va avoir mal aux os demain matin, fit l’un de mes gardes.
    —    S’il est encore vivant, ricana un autre.
    Le souffle court, j’aurais voulu prendre la place de mon ami. Ma vie n’avait aucune valeur et, depuis ma résurrection, elle ne m’avait apporté que tourments. Je l’aurais échangée sans le moindre regret contre celle d’Ugolin. Mais je n’en avais pas le droit. Cécile était toujours prisonnière de Montfort. Peut-être aussi existait-il une chance, même infime, de sauver la Vérité. Je devais vivre. Encore un peu.
    Sous mon regard horrifié, on attacha chaque câble à l’attelage d’une monture. Ugolin sembla comprendre ce qui l’attendait et se mit à se débattre, sans succès. Au signal de Guillaume, les quatre chevaux furent entraînés dans des directions opposées, tendant peu à peu les liens qui les reliaient au Minervois. Celui-ci se retrouva soulevé de terre et ses membres furent douloureusement étirés. En passe d’être écartelé, il ne put retenir un grognement avant de se taire et de laisser retomber sa tête vers le sol. Ses tremblements suffisaient à me faire comprendre la douleur qu’il ressentait. Écrasé par mon sentiment d’impuissance, je serrai le poing droit jusqu’à ce que mes jointures craquent. À l’écart, Pernelle, les mains posées sur des joues pâles comme la mort, émit un déchirant cri d’horreur et se leva d’un trait. La courageuse petite se lançait au secours d’Ugolin. Des Barres la saisit par la taille, la souleva de terre et hocha négativement la tête. Puis il la confia à deux gardes qui la tinrent par les bras et ne la quittèrent plus des yeux.
    Les chevaux firent un pas de plus et les membres du colosse se retrouvèrent tendus à l’extrême. Quelques doigts de plus et ils seraient arrachés. Ugolin releva la tête et ouvrit grand la bouche dans un affreux cri silencieux qui révélait toute sa souffrance.
    —    Assez ! s’écria soudain des Barres, d’une voix forte.
    Les bêtes furent immobilisées, maintenant Ugolin dans les airs, à une coudée 8 au-dessus du sol. Lambert de Thury se glissa entre deux soldats, un fouet enroulé dans la main, et s’avança vers le pauvre Minervois. Un sourire cruel sur les lèvres, il se planta derrière lui, déroula son instrument et le fit claquer à quelques reprises sur le sol. Après avoir contemplé un moment sa victime, il prit un grand élan, fit décrire au fouet un arc gracieux au-dessus de lui et frappa. Le bruit sec retentit dans le silence qui avait enveloppé le camp.
    Ugolin releva la tête, les yeux exorbités par la souffrance et la surprise, mais garda la mâchoire bien fermée, se refusant à crier. Sur son dos, je vis la chair se fendre. Non loin de là, Pernelle se mit à se débattre comme une furie, sans succès.
    —    Je te parie que la torture le fait bander, le maudit inverti, persifla l’un de mes