Le Baptême de Judas
le même chemin, pendant qu’Alain, écarlate de colère et la mâchoire serrée, les laissait passer pour se mettre en dernier. En passant devant lui, je ne pus m’empêcher de lui adresser un clin d’œil coquin. Le fait que je fus le seul à rire ne diminua en rien ma satisfaction.
Dès que j’entrai dans le sentier, Sauvage devint nerveux et je dus lui caresser le cou pour le calmer. Il me suffit d’avancer de quelques coudées pour avoir l’étrange impression d’être entré dans une forêt enchantée. Les rayons de soleil qui parvenaient à se frayer un chemin entre les branches illuminaient la poussière que les sabots des chevaux faisaient lever et créaient des faisceaux à l’aspect presque solide. L’air, retenu par le couvert de la végétation, était lourd et humide. J’aurais été à peine surpris si une vieille sorcière hideuse avait surgi des bois en ricanant pour nous changer en crapauds. Autour de moi, le faciès tendu des soldats me laissait croire que des idées semblables leur traversaient la cervelle. Celui qui chevauchait devant moi dardait les yeux dans toutes les directions en ravalant sans cesse sa salive. Sauvage émit un hennissement sonore qui le fit sursauter et je pouffai de rire. Embarrassé, l’homme se retourna et m’adressa un regard sombre auquel je répondis par un haussement d’épaules.
Nous n’étions engagés dans le sentier que depuis quelques minutes lorsque plusieurs chevaux se mirent à renâcler. Devant moi, je vis Guillaume se raidir et jeter des regards insistants de tous les côtés. Comme moi, il avait compris que les animaux avaient senti quelque chose. Puis un grand craquement retentit derrière moi. Je me retournai juste à temps pour voir un arbre s’écraser en travers du sentier, ensevelissant un soldat et sa monture sous sa masse. Quelques secondes plus tard, un second puis un troisième s’abattirent à leur tour, formant une infranchissable masse de troncs, de branches et de feuillages qui s’élevait sur plusieurs coudées. Le petit groupe dans lequel je me retrouvais, une vingtaine d’hommes en tout, fut coupé du reste de l’escadron.
J’ignorais qui avait monté ce guet-apens, mais je devais en tirer parti sans attendre. Je jetai un coup d’œil vers Ugolin et pus lire dans la tension de son visage qu’il voyait là la même occasion que moi. D’un geste sec de la tête, je lui fis signe de foncer. Il empoigna les rênes de la monture de Pernelle et s’apprêtait à s’élancer lorsqu’un nouveau craquement retentit, suivi d’un grand fracas.
Je me retournai pour apercevoir deux nouveaux arbres qui bloquaient le chemin devant nous. Toute fuite était désormais impossible. Nous étions coincés comme du bétail dans son enclos. Une vingtaine d’hommes émergèrent de la forêt, l’épée au poing, et foncèrent vers les croisés. Médusé, j’essayais de comprendre ce que je voyais. S’agissait-il simplement de brigands qui avaient décidé de piller les pillards ou essayait-on de nous libérer ?
Réalisant la position dans laquelle il se retrouvait, des Barres réagit avec assurance. Il tira son épée et la fit tournoyer au-dessus de sa tête.
— Aux armes ! tonna-t-il. On nous attaque ! Pas de quartier ! Pour Chalons et Montfort ! Pour Sa Sainteté Innocent !
Pris de court, plusieurs de ses soldats furent projetés au sol par leurs adversaires et se retrouvèrent à combattre au corps à corps, Guillaume comme les autres. Je pus à nouveau constater que sa réputation de bretteur n’était pas surfaite. Les pieds plantés dans le sol, il se retrouva devant trois adversaires. Calme et méthodique, il para sans broncher une attaque sur sa gauche tout en enfonçant son pied dans le ventre de celui qui allait le prendre sur la droite. Puis il attrapa sa victime par le pourpoint et, l’utilisant comme bouclier, le fit embrocher par l’un des siens. Derrière lui, Lambert de Thury s’en donnait lui aussi à cœur joie, me rappelant que son goût pour les efféminés ne faisait pas de lui une femmelette.
Les soldats de des Barres se révélaient à la hauteur. Leur surprise passée, ils démontraient leur grande qualité. Comme je l’avais présumé, les hommes qui s’en allaient dans le Sud étaient tous de solides combattants. Les brigands qui les avaient attaqués le regretteraient amèrement. La bataille ne faisait pas rage depuis une minute que déjà, petit à petit, ils prenaient le dessus.
Je profitai
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