Le Baptême de Judas
petite prêtraille et toi avez beau détruire le suaire, ce que contiennent les documents conservés à Montségur suffira amplement pour que s’écroule votre maudite Église.
Montfort et Arnaud se regardèrent et éclatèrent d’un rire dont je n’osais pas comprendre le sens, mais qui me glaça le sang.
— Pour un prisonnier et un fourbe, tu te comportes en bien grand seigneur, Gondemar de Rossal, déclara Amaury. Bien, tu la verras, ta Cécile.
Montfort fit un signe aux gardes.
— Emmenez-le.
L’officier tira son épée et m’en appuya la pointe à la hauteur des reins. Deux autres m’empoignèrent et me tirèrent vers la sortie.
— À bientôt, Magister des Neuf ! s’écria Montfort pendant qu’on m’escortait.
Je n’avais cure de son ironie. Plus rien n’avait d’importance. J’allais revoir Cécile.
1
Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre. Genèse 9,1.
2
C’est pourquoi Dieu les a livrés à l’impureté, selon les convoitises de leurs cœurs ; en sorte qu’ils déshonorent eux-mêmes leurs propres corps. Romains 1,24.
3
Tuez-les tous. Dieu reconnaîtra les siens.
4
Un chien sans dents aboie plus fort.
5
Le simple est le sceau du vrai.
Chapitre 9 Fatalité
Je marchais comme dans un rêve. Le suaire, si précieux, était détruit. Je faisais partie des rares humains vivants à avoir vu la face de Ieschoua. Plus personne ne la verrait jamais. L’Église était à mi-chemin d’une victoire qu’elle convoitait depuis plus d’un millénaire. Tout ça parce que j’avais failli. Privé du secours des Neuf, pour le parcours qui me restait encore, je ne pouvais compter sur personne. Après Raynal et Jehan de Gisors, voilà qu’un troisième membre de l’Ordre avait trahi la cause.
On me mena à travers une nouvelle enfilade de couloirs. Malgré le désespoir qui l’emplissait, mon cœur trouvait encore matière à être un peu léger. Tel un homme menacé de noyade, pour ne pas sombrer, je m’accrochais désespérément à l’image de Cécile, en robe blanche, qui m’attendait dans une salle en travaillant à une broderie. N’était-ce pas ainsi qu’un noble, fût-il Simon de Montfort, devait traiter une dame, même si elle était sa prisonnière ? J’imaginais déjà nos retrouvailles, sans doute brèves, mais néanmoins réelles. Car le lien qui nous unissait allait bien au-delà du plaisir. Il liait nos âmes. La revoir me donnerait un peu de courage. Une raison de tout tenter.
Lorsque nous empruntâmes un escalier qui menait dans les profondeurs du château, l’image s’assombrit. Le frisson qui me parcourut le dos n’avait rien à voir avec l’air humide et froid. Tu la verras, ta Cécile, avait ricané Amaury. Je compris qu’on ne pouvait me conduire ailleurs qu’au cachot dans lequel on avait gardé ma douce amie. Depuis combien de temps s’y trouvait-elle ? J’avais quitté Toulouse en septembre de l’An du martyre de Jésus 1211. Nous étions maintenant en avril 1212. Au mieux, elle n’était prisonnière que depuis mars, lorsque Pierrepont m’avait présenté l’ultimatum de Montfort. Au pire, elle l’était depuis sept mois. À cette seule idée, je frissonnai à nouveau. La cruauté du légat et de Montfort m’était connue. Ils l’avaient sans doute humiliée et dépouillée de sa dignité, autant qu’ils le pouvaient sans mettre sa vie en danger. La pauvresse avait dû croupir dans des conditions de fortune, grelottant de froid et mal nourrie. Mes tripes se serrèrent d’angoisse quand j’essayai d’imaginer dans quel état je la retrouverais. Sale et en haillons ? Malade et se toussant les poumons ? Blessée et amaigrie ? Seule la crainte de trébucher sur les marches de pierre glissantes et inégales m’empêcha de fermer les yeux de dépit.
Comment avait-on pu traiter ainsi la fille du comte de Toulouse ? Et grosse, de surcroît ? Dans toute cette histoire, elle n’avait été qu’une simple messagère, recrutée jadis par sa tante Esclarmonde. Son rôle s’était limité à déposer quelques messages du Cancellarius Maximus, qu’elle ne connaissait même pas, sous une dalle d’une place de Toulouse. Elle n’était qu’un pion insignifiant sur un vaste échiquier dont elle ignorait les dimensions. Mais jamais Montfort n’accepterait de croire qu’elle en savait si peu, et c’était ce qui me faisait peur.
J’essayai de me donner un peu de courage en me convainquant que, si Pernelle
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