Le Baptême de Judas

panse. L’endroit où il se trouvait, les circonstances dans lesquelles il a été retrouvé, l’image elle-même, le document qui l’accompagnait, tout concorde. Il n’y a aucun doute possible.
    Le légat se retourna vers Véran.
    —    Et toi ?
    —    Je n’ai jamais vu le suaire, Monseigneur, répondit-il d’une voix neutre, en évitant le regard enflammé que je lui adressais. Mais ce que je viens d’entendre correspond entièrement à ce que j’ai appris de la bouche de Ravier de Payns. Le Cancellarius Maximus était la seule personne au monde à connaître l’emplacement des deux parts et à pouvoir guider Gondemar jusqu’à Gisors. Là, il a suivi la piste jusqu’au linge. Ce ne peut être que ça.
    —    Comment peux-tu, maudit rat ? crachai-je en me débattant de plus belle.
    Véran garda les yeux au sol et ne réagit pas. Il semblait complètement indifférent à ce qui se déroulait devant lui.
    —    Bien, fit Amaury, satisfait. Finissons-en, alors. Les ordres de Sa Sainteté sont clairs : détruire le maudit torche-cul sur-le-champ, et devant témoins.
    Sans le moindre égard pour le suaire, il le roula en boule et se dirigea vers un des deux braséros. Une fois là, il se retourna vers moi.
    —    Dis adieu à la seconde part de la Vérité, Magister des Neuf.
    Puis il s’attarda sur Montfort, un sourire narquois sur les lèvres.
    —    Quant à toi, Simon, Sa Sainteté reconnaît ton utilité et est disposée à passer outre à ta petite trahison. Tu devras toutefois trouver une autre façon de réaliser tes ambitions.
    Il tendit le bras au-dessus des braises et, sous le regard horrifié de Montfort, y laissa tomber le tissu millénaire, qui s’embrasa aussitôt et se mit à crépiter en dégageant une fumée âcre. Bien vite, il n’en resta que des cendres. À mon grand étonnement, le précieux personnage retroussa sa soutane et urina longuement sur les restes du suaire, les braises produisant une vapeur malodorante. Lorsqu’il eut terminé, il laissa retomber son vêtement et m’adressa un sourire satisfait.
    —    Pisser sur ce maudit Ieschoua. soupira-t-il. La vie nous réserve parfois de grands plaisirs.
    Horrifié, je ne pouvais plus bouger. L’image de Ieschoua, seule preuve tangible de la Vérité, était détruite. Moi qui avais été ramené à la vie pour protéger les deux parts, je venais de voir la moitié de ma mission partir en fumée. Autour de moi, mon monde s’effondrait et des images d’enfer se profilaient à l’horizon.
    —    Il est temps de discuter affaires, dit Montfort en faisant contre mauvaise fortune bon cœur, soucieux de reprendre l’initiative et de sauver les meubles. Le marché conclu à Gisors est toujours le même : la première part de votre maudite Vérité contre la vie de dame Cécile de Foix. Toute tentative de tromperie de ta part, même avortée, lui vaudra la mort. Quant à toi, tu dois bien comprendre que, quoi qu’il advienne, tu n’en sortiras pas vivant.
    La première part. C’était tout ce qui restait, aussi bien pour lui que pour moi. La seule raison d’être de trois années de misère et de souffrance. Je m’accrochai désespérément à cette mince consolation. Si les documents conservés à Montségur m’avaient paru bien insignifiants à la lumière du suaire, ils prenaient maintenant une importance capitale. Ils représentaient la seule preuve de la Vérité et mon unique planche de salut. Sans eux, je ne pourrais pas non plus sauver la vie de Cécile. Je me fis violence pour retrouver un semblant de raison. Tout se jouait à l’instant même.
    —    Ma vie n’a aucune importance, maudit surplus de semence. Mais je ne passerai aucun pacte avec toi avant d’avoir vu Cécile, déclarai-je avec fermeté.
    —    La mèche de cheveux et la bague ne t’ont pas convaincu ?
    —    Ce serait trop facile. Je veux l’assurance qu’elle est bien entre tes mains et en vie, répétai-je. Ensuite, seulement, j’hono-rerai notre marché. Tu as ma parole. Si tu détiens Cécile, je te rapporterai la première part.
    —    Tu es mal placé pour poser des conditions.
    —    Vraiment ? Utilise ta cervelle, Simon. J’ai prêté le serment des Neuf. J’ai juré de protéger la Vérité coûte que coûte, quel que soit le prix à payer. Il suffit pour moi de décider que la première part a une plus grande valeur que la vie de Cécile et tu te retrouveras le bec dans l’eau. La