Le Baptême de Judas
affaire, reprit Montfort en retrouvant son sérieux.
Le bougre se frotta lentement les mains en me toisant, comme celui qui sait qu’il a déjà remporté la partie et prend plaisir à abattre son jeu.
— Dame Cécile a perdu votre bâtard, certes, mais elle est vivante, comme je te l’avais affirmé. Les termes de notre entente demeurent donc inchangés : sa vie contre la première part de la Vérité qui est conservée à Montségur. Une incartade de ta part et elle mourra.
— Si elle meurt, je te jure par tous les saints que ton Église a inventés que tu ne verras jamais les documents, contrai-je pour la forme.
— Et si je ne reçois pas les documents, reprit-il du tac au tac, elle mourra dans les pires souffrances. Pourrais-tu porter cela sur ta conscience ? Pour de vulgaires bouts de parchemin ?
Je baissai la tête, vaincu.
— Non, ma conscience est déjà trop lourde.
— Alors c’est entendu, intervint Amaury. Nous sommes le 23 avril 1212. Dans deux mois, je dois être en Andalousie, auprès du roi Pedro d’Aragon, qui prévoit affronter les musulmans pour les expulser une fois pour toutes des terres chrétiennes. Je tiens à régler notre petite affaire avant mon départ, de manière à pouvoir passer par Rome et faire rapport à Sa Sainteté, qui attend impatiemment. Tu as trois semaines pour rapporter les parchemins ici même, en personne, et me les remettre en main propre. Pas un jour de plus. Passé ce délai, nous tiendrons pour acquis que tu as failli ou que tu nous as trompés, et dame Cécile de Foix sera exécutée le 15 mai, au lever du jour. Me fais-je bien comprendre ?
— Oui.
— Tu vois ? reprit Montfort. Quand nous y mettons chacun un peu de bonne volonté, nous arrivons à bien nous entendre ! Dommage que tu doives crever bientôt. Nous aurions pu devenir bons amis !
— Je veux que Cécile soit bien traitée, me contentai-je de dire.
— Tu as ma parole.
— Ta parole ne vaut pas la merde qui remplit les tranchées dans les camps de tes soldats.
— Néanmoins, tu devras t’en contenter.
Il se leva d’un trait pour annoncer que l’entretien était terminé.
— Pour ma part, je partirai bientôt en campagne. Saint-Antonin-Noble-Val recevra ma visite d’ici deux semaines. Puis ce seront les châteaux de Quercy et Moissac. Sous peu, mes domaines seront plus grands que ceux du roi de France, dit-il, une lueur malsaine brillant dans ses yeux. Mais ne crains rien, je reviendrai à temps pour assister à ta déchéance. Les préparatifs sont exigeants et je ne pourrai donc pas t’accompagner. Un dernier détail : Véran t’escortera.
— Véran ? crachai-je, insulté à l’idée de devoir faire le chemin avec ce traître.
— Quoi ? ricana-t-il, narquois. Tu n’apprécies plus la compagnie d’un de tes frères de l’Ordre des Neuf ?
Je ne répondis pas. Trois semaines. À la fois un souffle et une éternité. C’était ce dont je disposais pour trouver le moyen de sauver Cécile, ce qu’il restait de la Vérité et mon âme. Comme si cela n’était pas suffisant, je devrais le faire sous le regard d’un traître qui était fin comme un renard. Pire encore, je devrais convaincre les Neuf de Montségur de ma sincérité, alors qu’ils présumaient certainement que je les avais trahis.
Montfort se leva, me prit par l’épaule et, singeant la familiarité de l’amitié, m’entraîna jusqu’à une fenêtre. Je le laissai faire.
— Belle vue sur la place, non ? demanda-t-il d’un ton badin.
Je ne répondis pas.
— Lorsque tout sera fini, c’est là que je ferai ériger ton bûcher, dit-il, abandonnant toute prétention à la courtoisie. Comme la première fois, sauf que tu y seras en personne. Tu seras jugé comme hérétique et relaps. Tu seras condamné, cela va de soi. Et, par Dieu, j’allumerai moi-même le feu qui te consumera et qui t’enverra en enfer. Je te regarderai dans les yeux pendant que tu rôtiras et je boirai tes cris de souffrance comme le plus doux des nectars. Peut-être même conserverai-je ton crâne pour m’en faire une coupe.
En consentant au pacte proposé par Métatron, j’avais accueilli la fatalité dans ma vie et, depuis, elle la dominait. Tous les choix que je faisais, toutes les décisions que je prenais me ramenaient inévitablement à mes obligations. Ta conscience t’accompagnera et te tourmentera sans cesse,
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