Le Baptême de Judas
m’avait prévenu l’archange. Jamais le poids de ma seconde vie ne m’avait paru si lourd. J’en regrettais presque le froid, la solitude et le désespoir de l’enfer.
Chapitre 10 Épiphanie
Le lendemain matin, j’étais prêt à partir. N’ayant guère le choix, j’étais résigné. La mort ne m’effrayait pas. L’enfer, lui, me terrifiait, mais l’idée que Cécile soit sacrifiée dans la douleur, plus encore.
Recourant au même stratagème qu’en route vers Gisors, j’avais obtenu l’autorisation de modifier mon apparence en me rasant à nouveau la tête tout en conservant ma barbe. Un barbier me fut envoyé. Avant qu’il débute, je pris un instant pour me regarder dans l’eau qu’il avait versée dans un bassin. En voyant l’image qui s’y reflétait, je fus surpris de constater combien j’avais changé. Mon visage qu’on avait dit beau, était maintenant usé. Malgré mes vingt-sept ans, ma barbe était déjà parsemée de stries grises. Des rides traversaient mon front orné d’une cicatrice circulaire et d’autres encadraient ma bouche, lui donnant un air dur et amer. Ayant absorbé sa part de coups, mon nez penchait distinctement d’un côté. Deux dents manquaient sur le devant et une autre était cassée. Mes lèvres parsemées de coupures mal guéries étaient inégales et je me demandais comment Cécile avait pu les embrasser si goulûment. Mes yeux étaient creusés dans leurs orbites et le regard qu’ils me retournaient était froid et vide. Usé. Je semblais avoir vingt ans de plus que mon âge. Et je devais me rendre à l’évidence : j’avais des airs de Bertrand de Montbard. Je comprenais maintenant que le fait de côtoyer sans cesse la mort et la violence, la nécessité de survivre et le poids toujours plus grand de sa conscience avaient sculpté le visage du maître d’armes qui s’était présenté à Rossal lorsque j’avais quatorze ans. Maintenant, ces mêmes choses avaient façonné le mien. Songeur, je m’assis pour laisser procéder le barbier, sous le regard aiguisé de quelques gardes.
Le Gondemar de Rossal que connaissaient les Neuf avait le visage lisse et une longue chevelure rousse. Certes, je comptais sur le fait qu’Ugolin les avait prévenus de la situation et j’espérais qu’ils m’attendent, prêts à m’apporter leur aide. Ensemble, peut-être pourrions-nous élaborer un plan qui permettrait de sauver Cécile et la Vérité. Mais j’ignorais pourquoi ils n’étaient par intervenus avant que j’atteigne Carcassonne. Par manque de temps ou de volonté, je ne pouvais que spéculer. Il eût donc été imprudent de ma part de compter sur leur loyauté. Il était plus probable qu’ils hésiteraient à me faire confiance. Étant donné que j’avais été contraint à retourner ma veste, la réaction la plus prudente serait assurément de prendre au pied de la lettre leur serment et de m’éliminer à la première occasion, Magister ou pas. Je promets et je jure de garder les secrets de l’Ordre des Neuf. Je m’engage à ne les point révéler et à empêcher tout frère ou sœur de le faire, y compris son Magister, s’il est en mon pouvoir de l’en empêcher, et en le tuant s’il le faut.
S’ils me tuaient, la première part serait hors de danger. C’était ce que j’aurais fait moi-même. Bien entendu, je souhaitais compter sur l’appui de mes frères et sœurs pour retourner la situation. Mais peut-être aussi me retrouverais-je dans l’obligation de les trahir et de m’emparer de la première part pour la ramener à Montfort, en espérant trouver ensuite une façon de ménager la chèvre et le chou. Si tel était le cas, mieux valait ne pas être reconnu. Je devais d’abord évaluer la situation. Si je les approchais, ce serait à mes conditions. Sinon, je devais m’introduire dans le temple et voler les documents qui étaient sans doute entourés de mesures de sécurité supplémentaires depuis que Raynal avait prouvé que la chose était possible. Tout compte fait, les chances que je doive user de tromperie étaient grandes.
Lorsque je fus rasé, le barbier sortit et deux gardes me conduisirent dans la cour. Sauvage m’y attendait, sellé et nourri. Près de mon fidèle étalon noir, Véran était déjà à cheval, prêt à partir. Nos regards se croisèrent et, cette fois, il ne baissa pas les yeux. À l’évidence, l’homme était tourmenté, mais il avait fait un choix et l’assumait, ce que je pouvais
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