Le Baptême de Judas
Gisors. La culpabilité et la honte me taraudaient les entrailles. Comment ma chair avait-elle pu céder ainsi à la tentation, alors que mon cœur appartenait tout entier à celle qui se tenait devant moi ? Étais-je vraiment si méprisable ? Oui, sans l’ombre d’un doute. Je ne méritais pas la présence de Cécile.
Mon cœur l’emporta sur ma raison. Je me levai précipitamment, traversai ma geôle en courant et, passant mes chaînes derrière son dos, je la serrai avec tout l’amour dont j’étais capable, au risque de l’étouffer ou de lui rompre les côtes. Elle en fit autant. Perdu dans cette étreinte, j’oubliai temporairement la Vérité et mon salut. J’étais avec Cécile et plus rien d’autre ne comptait. Ni la Vérité, ni mon âme. Je me repaissais de la douceur de sa peau contre ma joue, de l’odeur de ses cheveux qui parvenait à franchir mon nez enflé, de la délicatesse de son corps dans mes bras, de sa chaleur, des battements de son cœur contre ma poitrine, des secousses de ses sanglots et, par-dessus tout, du fait que je serrais contre moi la mère de mon enfant.
Ce fut cette pensée qui me ramena brusquement à la réalité. Je compris avec horreur que je ne sentais pas son ventre rebondi contre le mien. Je la relâchai, repassai mes fers par-dessus sa tête et reculai d’un pas pour la détailler anxieusement. Son ventre était plat, comme il l’avait toujours été. Allant à l’encontre de toute raison, je le palpai, y cherchant en vain la vie qui aurait dû y grandir.
— Le fourbe, grondai-je. Il m’a fait croire que tu étais enceinte.
Cécile baissa les yeux.
— Je l’étais.
Mes entrailles se serrèrent de tristesse et de fureur à la nouvelle. Elle s’assit sur ma paillasse et replia les jambes sous elle, fragile et blessée, mais ne dit rien. Je pris place à ses côtés et enfermai ses mains dans les miennes.
— Cécile, que s’est-il passé ? m’enquis-je d’une voix étranglée.
Une partie de moi souhaitait connaître la réponse. L’autre la
savait déjà et aurait tout donné pour ne pas l’entendre.
— J’ai. j’ai perdu l’enfant. à cause des coups.
Je manquais d’air. Des frémissements s’emparèrent de son corps et se transformèrent en tremblements. Elle éclata de nouveau en sanglots et blottit son visage dans le creux de mon épaule. Je caressai sa nuque, horrifié au-delà des mots. Montfort avait osé poser ses mains couvertes du sang des cathares sur Cécile. La rage qui me remplissait était telle que j’en avais les muscles crispés, mais je la contins. Ma tendre amie avait besoin de moi. De plus, j’étais prisonnier et impuissant. Je repoussai la haine et la colère dans un coin sombre de mon esprit, où elles fermenteraient et se renforceraient. En temps opportun, je les rappellerais.
— Ils t’ont battue ? arrivai-je enfin à demander en ravalant bruyamment.
Elle releva la tête et posa sur moi des yeux luisants de larmes. Je pris son visage mouillé dans mes mains et essuyai délicatement ses joues avec mes pouces. Puis j’attendis qu’elle soit capable de parler. Il lui fallut longtemps pour en trouver le courage.
— Quelques semaines après ton départ de Toulouse, dit-elle d’un petit filet de voix, j’ai découvert que j’étais enceinte. J’ai cru mourir. Tu n’étais plus là et je ne pouvais imaginer ma vie sans toi. En novembre, avant d’être trop grosse pour pouvoir voyager, j’ai décidé de me rendre à Montségur, auprès de tante Esclarmonde. Je ne faisais confiance à personne d’autre pour m’accoucher. Et puis, je savais qu’elle appartenait au même Ordre que toi et que si tu revenais jamais du Nord, mes meilleures chances de te revoir se trouvaient là. Dans la forteresse, nous pourrions vivre tranquilles, en sécurité. Voir grandir notre enfant. Mon père et mon frère ont été difficiles à convaincre, mais comme Toulouse est sans cesse menacée, ils ont fini par entendre raison. Ils m’ont fourni un escadron pour assurer ma protection.
— Quelle imprudence, rageai-je. Tu aurais dû rester là, étourdie !
— Les faits te donnent malheureusement raison. Les hommes de Montfort nous ont surpris dans les environs de Pamiers. Ils étaient trop nombreux. Mon escorte a été réduite à rien et on m’a emmenée ici. Il m’a fallu longtemps pour comprendre qu’on m’utilisait comme appât pour t’attirer.
— Quand ils
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