Le Baptême de Judas
était encore haut et le templier pressa le pas sans s’arrêter. Nous suivîmes des chemins et des sentiers de plus en plus accidentés qui annonçaient le domaine des forteresses réputées imprenables des cathares, comme Quéribus et Montségur. Mais même celles-là finiraient par être prises. Avec l’acharnement que déployaient les croisés, c’était écrit dans le ciel. Pour une raison qui m’échappait, Dieu était peut-être du côté de la Vérité, mais il avait abandonné ceux qui en avaient fait la fondation d’une foi pure et sincère.
Nos chevaux grimpaient lentement et nous dûmes nous arrêter de plus en plus souvent pour les abreuver et leur accorder un répit. Au rythme auquel nous progressions, il devint bientôt évident que, pour atteindre Montségur, nous devrions soit poursuivre notre route de nuit, soit dormir à la belle étoile. Lorsque le soir arriva, nous étions en pleine montagne et le sentier était parsemé de rochers. Craignant sans doute qu’un cheval ne se blesse, Véran décida de s’arrêter dans une petite clairière ornée de misérables buissons et de quelques arbres qui semblaient lutter pour produire les bourgeons d’avril. La présence de braises froides dans un cercle de pierres nous confirma que l’endroit était régulièrement utilisé par les voyageurs.
Véran mit pied à terre, tira son épée et me fit signe de descendre. Dès que je touchai le sol, il pointa son arme dans ma direction. Sachant ce dont j’étais capable, il me tint prudemment en joue à bonne distance pendant que, de sa main libre, il tirait un quignon de pain de la besace qui était attachée à sa selle. Il me le lança et je l’attrapai au vol.
— Prends-en la moitié, ordonna-t-il calmement.
Ma main infirme me causant quelques difficultés, je brisai le pain en deux et fis mine de lui tendre le reste, espérant qu’il tombe dans le piège et que l’instant d’inattention que je voulais provoquer me permette de le saisir et de le désarmer. Mais le templier était perspicace et expérimenté. Il se contenta de m’adresser un petit sourire entendu.
— Jette-le à terre. Quelques grains de sable ne me feront pas de mal.
Haussant les épaules avec une insouciance calculée, j’obtempérai. La joute était amorcée et il savait comme moi qu’un seul de nous en sortirait vivant. Son regard m’indiquait qu’il entendait être celui-là. Il était clairement décidé à me ramener à Carcassonne avec les documents. Peut-être aussi avait-il pour mission de m’éliminer dès qu’ils seraient en sa possession. Après tout, il était des Neuf et Montfort n’avait pas besoin de moi pour les authentifier. Son petit discours concernant mon bûcher pouvait n’être que comédie.
— Dirige-toi vers cet arbre, ajouta-t-il.
J’avisai l’arbre qu’il me désignait et m’y rendis.
— Assis.
Dès que je fus dans la posture souhaitée, Véran tira de sa ceinture une dague recourbée, du type que certains croisés prenaient aux Sarrasins et qu’ils ramenaient de Terre sainte. Il se posta prudemment derrière moi et m’appuya la pointe sous l’oreille. Je l’entendis remettre son épée au fourreau. Puis, de sa main libre, il passa la corde de mon collier autour du tronc et l’attacha. Ainsi lié par le cou, même si je conservais l’usage de mes mains, j’étais impuissant.
— Mange, m’ordonna-t-il.
Pendant que je mâchais mon pain, il alluma un feu puis s’assit à une distance prudente et m’observa.
— Qu’est-il arrivé à ta main ? s’enquit-il.
— Ignis sacer , répondis-je en montrant ma senestre à la peau rougeâtre.
— Le feu sacré ? Bougre, Dieu ne voulait pas de toi, on dirait.
— Tu ne crois pas si bien dire, dis-je avec un rire cynique.
— Elle bouge encore ?
— Plus ou moins. Et elle manque de force.
— Je te plains. Un guerrier n’aime pas être diminué.
— Bof... Je mourrai bientôt, non ?
Il ne répondit rien. Quand j’eus terminé, il me lança une outre remplie d’une eau avariée par le voyage. J’y étanchai ma soif néanmoins. Satisfait, je la posai sur le sol et il se leva pour l’écarter du bout du pied. Puis il repassa derrière l’arbre.
— Tends les mains vers l’arrière, ordonna-t-il.
Je fis ce qu’il me demandait et me retrouvai bientôt les poignets liés de chaque côté du tronc, assez solidement pour m’étirer
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