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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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celui-ci, devant la gravité des faits, convoqua Aristarque séance tenante, devant un conseil restreint. Le roi, à l’instar de son père, avait assisté à certains cours de l’astronome, et il s’était montré assez bon élève en géométrie. Mais quand Aristarque se présenta, Ptolémée laissa la parole à l’accusation.
    — J’ai lu ton ouvrage, dit le grand-prêtre sur un ton insidieux. Je ne suis pas spécialiste de ce genre de choses et j’ai peut-être mal compris. Oui, j’ai dû mal comprendre. Un homme aussi savant que toi…
    — Je n’ai fait que calculer la distance qui sépare le Soleil de la Terre, en me fondant sur la puissance du raisonnement géométrique, qui…
    — Sans doute, sans doute, coupa le prêtre. Mais cette distance me semble immense.
    — Entre dix-huit et vingt fois celle qui nous sépare de la Lune ( voir Note savante #3 ). Ma méthode ne permet pas, hélas, de mieux…
    — Et si le Soleil est si loin que tu le dis, ou que j’ai cru le comprendre, interrompit à nouveau le prêtre agacé par les précisions de l’astronome, il est bien plus gros qu’il n’y paraît.
    — Tu l’as parfaitement compris. J’avais peur de ne pas être assez clair pour parvenir à cet exploit.
    Le grand-prêtre ne perçut pas le sarcasme, tant il sentait la colère monter en lui :
    — Il est même, à te croire, beaucoup plus gros que la Terre. Des dizaines de fois plus gros.
    — Tes dons en astronomie sont aussi grands qu’en divination. Il faudrait joindre sept Terres bout à bout pour égaler le diamètre du Soleil. Ou si tu préfères, ajouta Aristarque non sans malice, le volume de cette sphère radieuse est dans un rapport de trois cent cinquante avec celui de notre modeste habitacle ( voir Note savante #4 ).
    — Roi, je te prends à témoin, cet homme est d’un orgueil insensé, et par ses raisonnements fallacieux, il joue avec le dieu Hélios, dispensateur de la lumière, et avec la déesse Hestia, notre Terre sacrée, comme il le ferait avec de vulgaires billes !
    Ptolémée Philadelphe tenta de temporiser :
    — Jugeons d’abord avant de condamner. Voyons, Aristarque, Pythagore n’avait-il pas échelonné les hauteurs des astres selon les intervalles musicaux, et le grand Eudoxe, géomètre comme toi, n’avait-il pas fixé définitivement les dimensions du monde ? Par quels arguments oses-tu contredire ces maîtres ?
    — Les mêmes que ceux qui ont conduit mon maître Euclide à prouver que le monde se pliait à sa géométrie. Un maître confiant dans la raison humaine, et que ton père Sôter, permets-moi de te le rappeler, admirait plus que tout autre savant.
    — Tu prétends donc que de simples points, lignes ou triangles, déterminent la grandeur de l’Univers ? Allons, explique-toi. Tu sais que j’ai suivi l’exemple de mon père, et je n’ai pas dédaigné d’assister à quelques-unes de tes démonstrations.
    — Ô roi, puisque tu me fais l’honneur de chercher à comprendre, me permets-tu de te questionner à ton tour, afin de te guider sur le chemin de la vérité ?
    Ptolémée opina de la tête, prêt à relever le défi intellectuel.
    — Tu viens parfois contempler les astres sur la terrasse de l’observatoire, enchaîna Aristarque. Sans doute as-tu remarqué qu’une fois chaque mois la Lune, au cours de son cycle, présente son disque rigoureusement coupé en deux parties égales, l’une éclairée, l’autre située dans l’ombre…
    — Certes, lorsque la Lune est à son premier quartier.
    — Eh bien, trace par la pensée un vaste triangle qui a pour sommets la Terre, le Soleil et la Lune à son quartier, et considère ses angles.
    Se croyant revenu en salle de classe, Aristarque se tourna vers le grand-prêtre avec un sourire ironique :
    — Vous pouvez faire de même, et si l’opération vous paraît difficile, dessinez la figure sur un papyrus, afin de mieux entrevoir la vérité…
    Un murmure de réprobation courut parmi les juges. Aristarque n’en eut cure et, s’adressant de nouveau au roi, il poursuivit doctement :
    — Que peux-tu dire de l’angle formé par la droite qui joint la Terre à la Lune, et la droite qui joint la Lune au Soleil ?
    — Heu… Il est rigoureusement droit, avança Ptolémée après quelque hésitation.
    — Je rends hommage à ta perspicacité, souverain ! Maintenant, admets que si le Soleil n’est pas à une distance infinie – puisque je prétends mesurer son

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