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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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mystères. À quoi bon ? La fin des temps était proche, disait-elle. Galien et Ptolémée l’arrangeaient bien. Ils avaient, selon elle, décrit le monde et la nature humaine de façon définitive, comme les Évangiles l’avaient fait pour Dieu.
    Alors on ne cherchait plus, on n’inventait plus ; on compilait. C’est bien là le signe de la fin d’un monde. On faisait la synthèse des découvertes du passé universellement admises, en les améliorant un peu, en les enjolivant souvent, sans jamais chercher à les contester, à les mettre en doute, à les dépasser. Ainsi firent Héron, Diophante et Pappus pour la mécanique, les mathématiques et l’astronomie. Ainsi fit Théon, nommé par l’empereur Théodose directeur du Musée – on ne disait plus grand-prêtre. Sous sa férule, la grande école alexandrine des Euclide, des Aristarque et des Apollonios retrouva quelque peu de son lustre. Mais s’il doit rester à la postérité, c’est pour avoir été le père de la plus savante femme de l’histoire : Hypatie d’Alexandrie. Je parle bien sûr de mon homonyme, celle qui naquit voici deux cent cinquante ans [9] . Elle vit d’ailleurs le jour sous d’harmonieux auspices, puisque son père, fervent adepte de systèmes mêlant astronomie et musique, lui donna le nom du son le plus grave que, selon lui, la Terre émet au centre de l’Univers, dans le chœur mélodieux de la musique des sphères ( voir Note savante #14 ).
    Un jour, alors qu’Hypatie n’avait que quatorze ans, les choses changèrent à Alexandrie. Un nouvel évêque fut nommé : Théophile. Jusque-là, toutes les croyances se côtoyaient sans trop de heurt. Mais cet ecclésiastique brutal décida d’extirper le paganisme par la force. Sur son ordre, tous les temples furent incendiés, à commencer par le Sérapion, construit six cents ans plus tôt par Ptolémée Sôter. Les fanatiques s’acharnent toujours sur les plus beaux édifices, les plus belles statues, dès lors que ces mémoires de pierre témoignent d’une grandeur passée qu’ils rêvent d’effacer. Les Alexandrins, avec leur esprit caustique, appelèrent en secret leur nouvel évêque « le Pharaon », tant il se prenait pour le maître absolu de la cité. Théophile s’en serait pris également à la Bibliothèque, mais Byzance mit un frein à son ardeur. Le nouvel évêque se contenta d’en briser les statues, d’en chasser les savants aux croyances peu sûres, et de jeter en prison son directeur Théon pour nommer à sa place un prêtre qui lui était adjoint.
    C’était la première fois qu’un homme d’Église accédait à ce poste. Celui-ci eut la charge de détruire tous les livres non conformes au dogme. Et Dieu sait s’il y en avait ! Ou peut-être ne le sait-Il pas.
    Par bonheur, les Alexandrins avaient, depuis Cléopâtre, cette vieille habitude de circonvenir en douceur leurs maîtres étrangers qui, enivrés par la gloire de succéder à autant de personnages prestigieux, se laissaient prendre à la belle indolence des lieux bercés par le bruit de la mer, à son recueillement, à son luxe aussi. La gracieuse silhouette d’Hypatie, rôdant sous les péristyles du Musée transformé en basilique, y fut-elle pour quelque chose ? En tout cas, l’abbé bibliothécaire n’accomplit jamais sa mission de destruction. Il n’avait d’ailleurs que peu à craindre de Théophile : celui-ci était plus souvent à Constantinople que dans son évêché. Il croyait en effet avoir définitivement éradiqué le paganisme de la cité, au prix du sang et de la destruction, et il s’en prit désormais à ceux qu’il estimait ses véritables ennemis, des chrétiens comme lui, mais des hérétiques qui n’avaient pas l’heur de penser tout à fait selon ses normes.
    Ainsi, dans le désert égyptien, une communauté de moines vivait dans la plus grande austérité, selon les préceptes du prêtre Jean Bouche d’Or. Théophile vouait à ce véritable saint une haine farouche. À la tête de ses soldats, il partit pour la paisible retraite des ermites et les força à fuir, non sans en avoir massacré quelques-uns.
    Dix années passèrent. Théon mourut de vieillesse et de chagrin. C’est alors que le génie d’Hypatie éclata, comme éclate un scandale. Elle avait vingt-cinq ans et était dans le plus grand éclat de son âge. Longue et mince, elle semblait pourtant encombrée par son corps. Sa démarche, comme gênée par sa haute taille, avait la

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