Le bouffon des rois
comme
poivre mais moins piquante, au buste démesuré sur des jambes courtes, l’œil
petit, le teint gris, le cheveu rude et la mâchoire prognathe.
Le traité désastreux est enfin signé et François I er demande sa libération. Mais Charles Quint est méfiant et ne rendra la liberté à
François I er qu’au moment où ses deux fils François et Henri
mettront le pied sur la terre d’Espagne et seront gardés en otages, gages de la
parole de leur père jusqu’à l’exécution des clauses du traité. François I er accepte, sachant très bien qu’il se dégagera de sa promesse : « Tout
homme de guerre sait assez qu’un prisonnier gardé n’est tenu à nulle foi et ne
se peut obliger à rien et puisqu’on ne se fie pas à ma parole, je ne suis pas
tenu de l’observer. »
Les deux petits princes otages, pauvres orphelins,
arrivèrent à Valladolid, accompagnés de Diane de Poitiers qui les embrassa avec
émotion avant que ne se referment sur eux les lourdes grilles d’un couvent de
moines. Diane avait serré un peu plus fort sur son cœur le tendre et triste
Henri qui n’oubliera jamais le baiser qu’elle lui avait donné au front.
François était rassuré, Éléonore lui avait promis qu’elle
prendrait grand soin du dauphin et de son frère durant leur séjour espagnol en
attendant leur union car le mariage ne serait célébré qu’une fois le traité
exécuté et les otages rendus.
Voilà plus d’un an que François I er attendait que s’ouvrent devant lui les portes de la liberté. Il avait oublié
les mille souvenirs agréables qui avaient marqué le début de sa captivité. Il
ne conservait que les stigmates d’un enfermement où il avait frôlé la mort et
qui l’aurait conduit à la folie s’il s’était prolongé.
En arrivant à Bayonne, il se jeta sanglotant dans les bras
de Madame puis dans ceux de Marguerite, accourues à sa rencontre. Derrière les
deux princesses, Françoise de Châteaubriant guettait un regard, un geste, mais
il ne la vit même pas, il n’avait d’yeux que pour la délicieuse fille d’honneur
de la duchesse d’Angoulême, Mademoiselle Anne d’Heilly de Pisseleu, qui
atteignait à peine ses dix-huit ans. Louise l’avait prise sous sa haute
protection, persuadée que son galant de fils ne manquerait pas d’être séduit
par son éblouissante beauté. La taille serrée dans une vertugade, Anne portait
une robe de drap d’or, fourrée d’hermine mouchetée, et une cotte de toile d’or,
largement « esgorgetée » avec force pierreries. Une chevelure dorée
encadrait un visage aux traits harmonieux, à la carnation de fleur, des lèvres
fraîches bien dessinées, des yeux bleus admirables. On la surnommait « la
plus belle des savantes et la plus savante des belles », elle avait tout
pour plaire, pour vaincre et pour conquérir. Frappé par l’éclat de ses charmes,
François était déjà résolu à lui sacrifier Madame de Châteaubriant.
Il reprenait vie au milieu des vivats du peuple qui hurlait
sa joie de le voir délivré et sa fureur de savoir les deux fils du roi en
otage. Toute la cour était descendue de la capitale pour fêter son
retour ; il eut un mot aimable pour chacun. Il s’arrêta plus longtemps
devant moi, me remercia de ma venue à Madrid et m’intima l’ordre de reprendre
ma place auprès de lui et de ne plus jamais m’en éloigner. Après toute cette
effervescence, il se rendit dans une église avec Louise et Marguerite où il
adressa à Dieu les plus ferventes prières pour le prompt retour de ses deux
fils prisonniers.
« Maintenant, je suis roi ! Je suis encore
roi ! Qu’il fait bon être roi dans son royaume ! » répétait-il
sans cesse.
L’ambassadeur espagnol qui, tout comme moi, ne le quittait
pas d’une semelle lui rappelait que, maintenant qu’il était libre, il devait
impérativement ratifier le traité de Madrid et respecter son serment.
« Monsieur, lui répondait-il, je ne suis pas lié à un
serment tenu pendant que j’étais en prison, traité comme un homme sans foi.
Néanmoins je tenterai l’impossible pour faire honneur à mes engagements. »
François, suivant les conseils de sa mère, décida d’établir
toute la cour à Cognac. Les grands conseillers du royaume vinrent demander au
roi s’il avait l’intention de ratifier le très sévère traité de Madrid. Sa
réponse fut des plus claires : « Je ne suis pas lié par le serment de
Madrid puisque j’étais prisonnier.
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