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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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valeur toute symbolique ? Je
dirais tout simplement : image renversée du pouvoir.
    Mes repas étaient également les mêmes que ceux de mon roi et
mon estomac s’habitua très vite à cette opulence, lui qui, pendant plus de dix
ans, s’était quelque peu rétréci au bref passage des repas frugaux du
monastère.
    Mon logement était assuré dans une pièce assez confortable
du château. Je n’avais pas le loisir d’en profiter pleinement, passant trop de
temps à suivre mon roi jusque dans sa chambre où il m’arrivait souvent de
dormir sur les épais tapis qui entouraient son lit, bien plus douillets que la
paillasse et la râpeuse couverture trouée de ma glaciale cellule monacale sans
lumière.
    Avec un ventre bien rempli dans une vie d’opulence, certains
auraient eu peut-être tendance à se laisser aller à l’oisiveté, à se laisser
endormir dans une douce torpeur et une inertie stérile. Pas moi ! Avec mes
lourdes tares et ma situation précaire, je prenais tous ces bienfaits pour un
cadeau du ciel, bien que Dieu ne fût jamais mon refuge et que je me refusasse à
lui payer une quelconque indulgence. J’avais une devise que n’aurait pas reniée
la religion catholique : « Plus on me donne plus je me donne. »
    Certaines mauvaises langues jamais fatiguées de saliver leur
méchanceté ne cessaient de s’agiter en déversant leur venin pour me traiter de
tous les noms d’animaux : du singe au perroquet, en passant par l’âne. Ils
trouvaient cependant normal que je fusse aussi largement traité, seulement
parce que c’était au même titre que les animaux de la ménagerie royale dont je
faisais partie. Je vais te faire une confidence que je n’ai jamais révélée à
personne : mon bon roi me témoignait plus d’affection qu’il n’en
prodiguait à ses chiens, ce qui n’est pas peu dire !
    En dehors de la réelle passion qu’il avait de régner, il
avait celle de la chasse et, si ses deux chiens gambadaient dans toutes les
pièces du château en totale liberté, il leur était très attaché. Chailly et
Herbault – ainsi les avait-il dénommés – étaient deux molosses
magnifiques, au pelage gris lustré tirant fort sur le brun, de la bonne race
des chiens du roi, descendant tous deux d’un braque hors du commun nommé Ralay
qui fut une des plus grandes joies de sa vie avant son règne quand, ne
s’épargnant ni l’un ni l’autre, ils couraient les cerfs en Valois et en
Bretagne. À l’heure où, âgé de treize ans, Ralay partit rejoindre le paradis
canin, Louis d’Orléans le pleura beaucoup mais se consola grâce à l’excellence
des deux plus forts chiots de sa descendance. Ils n’avaient de considération
que pour leur maître et pour moi évidemment. Je m’entendais si merveilleusement
avec ces deux superbes mâtins que certaines nuits je m’endormais entre eux deux
sur les tapis moelleux de la chambre du roi.
    Il avait aussi un amour immodéré pour un oiseau de proie qui
répondait au doux nom de Muguet. S’il n’avait qu’une chose de douce, c’était bien
son nom car ni son regard ni ses déploiements d’ailes n’avaient rien
d’engageant et il valait mieux se trouver à bonne distance de ses serres
tranchantes et de son bec acéré. Fort heureusement, lorsque le roi ne le tenait
pas au bout de son poing pour aller chasser la perdrix, l’épervier avait son
perchoir dans une pièce adjacente où ne pouvait pénétrer qu’un mince rai de
lumière et il ne nous rappelait sa présence que par des cris perçants et
stridents. Je me suis toujours méfié de ces animaux au bec aussi pointu que
leur œil est perçant et qui ont la suprématie de s’envoler dans le ciel.
    Une image revient régulièrement troubler mes courtes nuits
de sommeil : je vois toutes les sortes d’oiseaux existants se grouper dans
une effroyable coalition et fondre sur nous pour nous crever les yeux et nous
étriper sans que nous puissions nous défendre d’une manière efficace.
    Mais passons du cauchemar au rêve : on alla jusqu’à
composer une pièce en vers intitulée « Muguet, l’oiseau du roy
Louis XII », qui rendait hommage à ce méchant tas de plumes
carnassier :
     
    Trois
passetemps parfaicts a eu Loys douziesme
    Triboulet
& Chailly, & je fais le troisiesme ;
    Triboulet
pour la chambre, Chailly pour champ est duict [dressé]
    Et moi, je
voile en l’air pour gibier & déduict [divertissement]
    Le bon
Chailly, Triboulet et Muguet
    Tous de par
moi doivent

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