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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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c’est pour cette raison que j’avais la
maligne finesse d’apprendre par cœur des vers, des contes et des chansons
écrits par « messieurs les respectables troubadours » que je
n’hésitais pas à interpréter avec un style qui n’appartenait qu’à moi.
    Tu ne te figureras jamais tout ce que j’ai pu ingurgiter et
savoir en si peu de temps. Je crois que lorsque l’on cherche à plaire,
l’enseignement peut devenir un enchantement. Mon enthousiasme n’avait d’égal
que ma frénésie à donner du plaisir et à entendre s’esclaffer.
    On ne pouvait qu’être admiratif devant tant de virtuosité et
c’est grandement à cause de cela que je devins le compagnon indispensable de
mon roi qui fit de moi son favori, le familier le plus assidu, le confident et,
sur sa demande, le conseiller particulier de Sa Majesté qui semblait m’appeler
« au secours » quand des palabres incessants et trop souvent
dérisoires s’enlisaient dans un ennui certain et une confusion sans issue au
cours d’une séance du Grand Conseil. J’intervenais à bon escient, guettant,
parfois même anticipant un regard de mon maître :
    « Un mauvais orateur vous rend en longueur ce qu’il
vous prend en qualité. »
    Les applaudissements de contentement du roi détendaient
immédiatement l’atmosphère et il arrivait souvent que d’importantes décisions
fussent arrêtées à la suite d’un de mes égayants intermèdes.
    Je portais une véritable admiration à mon souverain. Je
l’appelais « Beau Sire » ; il était flatté de ce titre que je
lui avais donné dès notre première rencontre au monastère. Ce solide gaillard
de taille imposante, au regard vif qui se ternissait d’une mélancolie
récurrente, avait un nez aux larges narines qui lui mangeait la moitié du
visage, surplombant une bouche gourmande qui ne permettait que très rarement
les sourires qui m’étaient le plus souvent destinés.
    J’aimais sa manière sobre de s’habiller sans déploiement de
richesses. Soyons justes, loin de mettre des habits de manant, il était vêtu
comme un roi doit l’être mais sans cet excès de colliers d’or, d’imposantes
bagues multicolores aux pierres plus que précieuses que j’ai pu voir chez
d’autres souverains. Il portait soit un manteau d’hermine, soit une houppelande
écarlate fourrée de martre, un pourpoint en drap d’or sous des robes garnies d’orfroi,
une paire de pantoufles de vair bordées d’hermine. Encore de l’hermine !
Outre sa douceur et la chaleur qu’elle procure, l’hermine était l’attribut
d’Anne de Bretagne, tout comme le porc-épic était celui de Louis XII.
    Son obsession d’économies n’altérait en rien ce qui touchait
au bien-être de ceux si précieux qui l’entouraient et de ceux si rares qui
avaient l’heur de jouir de son affection. J’étais choyé royalement, le terme
n’avait jamais été mieux approprié. Selon ses ordres, on ne lésinait pas sur
les dépenses affectées à mon entretien. Rien n’était trop cher, rien n’était
trop beau. J’étais partie prenante des dépenses du roi dans les comptes
d’argenterie de la Couronne.
    Je n’avais pas besoin de monnaies sonnantes et trébuchantes,
il me suffisait d’exprimer un souhait, il était exaucé dans l’heure ; il
me suffisait de demander un objet, un vêtement, une friandise, on me
l’apportait dans les instants qui suivaient.
    Je ne revêtais pas tout le temps la livrée distinctive de ma
fonction, non ! Seulement dans les cérémonies officielles pour lesquelles
on me taillait chaque fois un habit neuf où la couleur jaune dominait grâce au
safran que l’on tirait du pistil du crocus. Ce colorant était aussi un aromate
réputé pour exciter le rire et en trop respirer le parfum pouvait conduire à la
folie. Quelle aubaine pour moi ! Je sentais bon le safran et mon roi m’en
faisait compliment, ce à quoi je lui rétorquais :
    « Beau Sire, c’est parce que je suis si franc que je me
parfume au safran. »
    Et j’ajoutais : « C’est le parfum de la franchise
et ces arômes vous prouvent que je ne suis guère enclin à vous parler
autrement ! »
    J’étais aussi bien vêtu qu’aucun des plus magnifiques
seigneurs du royaume. Les étoffes de mes habits de tous les jours étaient les
mêmes que celles du roi. Je ne m’habillais plus comme un fou mais comme le roi.
Réplique ou contrefaçon ? Ni l’une ni l’autre ! Double
grotesque ? Encore moins ! Alors,

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