Le bouffon des rois
front !), elle était dans
l’obligation de se remarier avec le roi successeur de son mari et ses biens,
utilité et profit deviendraient la propriété du royaume de France.
Tout concordait avec l’attirance toujours vivace d’Anne pour
le nouveau roi qui, en se débarrassant de sa « boiteuse », d’abord se
vengeait de Louis XI et ensuite allait recouvrer la Bretagne, cette
Bretagne qui appartenait non seulement à Anne mais dont elle était en quelque
sorte la souveraine.
Gai ! Gai ! Marions-nous !
Les chansons ne sont pas toujours des panacées. Que de
sentes tortueuses pour arriver à cette cérémonie matrimoniale tant
attendue !
Louis devait d’abord obtenir l’annulation de son mariage
avec Jeanne de France, qui résista longtemps pour enfin céder et s’effacer
devant la raison d’État, le 17 décembre 1498 après deux mois de palabres
devant des tribunaux ecclésiastiques souvent déstabilisés par les mensonges
éhontés de notre « père du peuple » qui, à ce moment précis, aurait
dû porter le titre de « fils de putain ».
Et puis, Louis et Anne étaient cousins (parents au quatrième
degré en ligne collatérale), il fallait donc obtenir l’indispensable dispense
pontificale pour convoler en de justes noces.
La bulle de dissolution fut accordée par le pape
Alexandre VI, qui avait eu deux fils avant son ordination. Il envoya son
second, le cardinal César Borgia, lequel arriva dans notre pays en déployant un
faste indécent. Pendant quatre mois, il garda dans ses bagages les lettres
signées de son père le pape, avec l’intention de les monnayer contre un appui
décisif lui permettant de faire un mariage qui arrangerait ses douteuses
affaires, mais on le dénonça au roi et celui-ci l’obligea à lui remettre les
précieux papiers qui manquaient pour finaliser une union qui n’avait que trop
traîné.
Le pape Alexandre VI accordait « au roi des
chrétiens et à la reine Anne, par un don de sa grâce spéciale et au cas où le
mariage du roi et de sa première femme serait annulé, la permission de convoler
librement en secondes noces et de vivre désormais dans cette union licite qui
leur promettait des fruits légitimes ».
Anne profita de l’amour aveugle (ou tout au moins ayant une
vue bien ternie) que Louis éprouvait à son égard pour lui dicter des conditions
draconiennes afin que sa Bretagne retrouve son indépendance.
Si elle décédait avant son souverain roi, celui-ci garderait
à titre viager l’administration de la Bretagne qui, à sa mort, reviendrait aux
prochains et vrais héritiers de ladite dame sans que les autres rois et
successeurs de rois en pussent quereller, ni demander autre chose.
Louis qui croyait unir la Bretagne à la France ne se rendit
pas compte qu’en signant le contrat de mariage avec Anne il se trouvait dans
une situation moins favorable que son prédécesseur. Anne n’était plus une jeune
fille innocente mais une femme de pouvoir qui démontrait par cet acte
l’habileté féminine sur l’amoureuse faiblesse d’un homme que son désir désarme
totalement.
À vingt et un ans, cette petite noiraude, d’apparence
fragile, presque maladive, savait mettre en valeur un physique ingrat en se
vêtant avec goût, privilégiant les couleurs sombres qu’elle imposait d’ailleurs
à ses dames d’honneur. Elles étaient toutes d’une tenue tellement triste que
leurs visages prenaient l’austère apparence de leurs vêtements. Je me plaisais
à penser (et jamais à dire !) qu’elles feraient débander un régiment de
priapes.
Elle avait une façon bien à elle de donner le change, ce qui
renforçait son côté hautain et distant. Redoutable et habile négociatrice, elle
savait obtenir ce qu’elle voulait par n’importe quel moyen : quand ce
n’était pas bouderie tenace, elle passait allègrement des larmes aux cris, du
doux sourire au rictus de rancune, des coquetteries irrésistibles aux
inquiétantes menaces.
La seule justice que l’on pouvait lui rendre c’était d’avoir
transformé Louis d’Orléans : de le faire passer du stade de débauché aux
mœurs dépravées à l’amoureux transi et fidèle. En obtenant sa main, son corps,
son cœur et son esprit ? À mon avis, elle avait pris tout le lot.
Elle avait reçu une éducation qui avait développé en elle le
goût des belles choses. D’une âme ardente, d’une pensée ingénieuse et fine,
profondément éprise de culture, d’art et de beauté
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