Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
Vom Netzwerk:
osât se moquer ainsi de lui et me jeta à terre dans un mouvement de
mauvaise humeur. Ma chute, accompagnée des braiments moqueurs de la bête,
augmentèrent l’hilarité générale. Je m’empressais de dire que si la bête
m’avait désarçonné, je ne l’étais pas moi-même car je n’étais pas étonné qu’un
âne refusât de garder sur son dos l’un de ses congénères.
    Le jour où les hostilités débutèrent, j’étais sinon rassuré,
tout du moins un peu plus serein d’avoir à mes côtés, dans une petite carriole
perchée sur le faîte d’une colline d’où la vue était imprenable sur la plaine
du Milanais, Jean d’Auton, chroniqueur attitré de Sa Majesté, chargé de coucher
sur parchemins le récit entier des combats. Il ne manqua pas de rapporter dans
notre plus beau vieux françois, tel un poète, une réalité qui était tout autre.
Ne lui jetons pas la pierre, tant d’autres historiographes ne s’en sont pas
privés ! Je ne résiste pas à te donner un exemple de sa magnifique prose
au moment où l’armée s’ébranla pour partir au combat :
     
    Qui, au raiz du souleil, heust veuz les armes reluyre,
les estandards au vent bransler, les groz chevaulx aux champs bondir et faire
carrière à toutes mains, tant de lances, picques, hallebardes et autres enseignes
de guerre par chemin, tant de gens d’armes, piétons, artillerye et charroys en
avant marcher, bien eust peu dire seurement que assez de force y avoit pour
tout le monde conquérir.
     
    Je ne traduirai pas ces quelques lignes, elles me paraissent
aussi claires que le sang qui commençait à couler à flots dans une cacophonie
de hurlements, d’aciers durement entrechoqués et de grondements de canonnades.
J’étais littéralement horrifié par ce spectacle que mon voisin, dans son délire
poétique, qualifiait déjà de « merveilleuses tueries ». L’ordre royal
qui m’obligeait à assister aux combats ne m’enchantait guère mais je ne cesse
de te le répéter : on ne transige pas avec la volonté d’un roi.
    Je suis un froussard dans l’âme. Le bruit des canons, des
tambours et des fifres me glace les sangs et je ne pense qu’à une chose :
aller me cacher dans le coin le plus retiré et me rouler en boule comme un
hérisson jusqu’à ce que l’on vienne doucement me prévenir que l’affreux
spectacle sanguinolent marque une trêve. Vu l’exiguïté du chariot où nous nous
trouvions, j’aurais eu du mal ne fût-ce qu’à m’asseoir.
    Sans y avoir jamais assisté, je n’aimais pas la guerre,
comme je ne supportais pas toute forme de violence. Outre la peur qui me
tordait le ventre (comme si je n’étais pas déjà assez tordu !), je n’avais
ni le courage ni la rage de me battre ; aurait-on d’ailleurs trouvé une
armure qui fût adaptée aux formes bizarroïdes de mon corps ? J’ai parfois
porté l’épée fièrement et avec bravade, mais elle était en bois.
    Même si je fermais parfois les yeux devant les écœurants
massacres qui se déroulaient à quelques centaines de mètres de moi, la guerre
en plein mouvement n’était pas la pire des choses. C’est l’après-combat qui m’a
marqué pour la vie et même au-delà puisque je t’en parle encore. Les horreurs
de la guerre sont sur les champs de bataille après la bataille. Ces champs
pavés de morts, ces bras et ces jambes coupés par-ci, ces mains et ces têtes
décollées par-là, ces corps désarticulés et cette plaine qui n’est plus qu’un
lac rougi où se noient les mourants dans de déchirants gémissements. Une
gigantesque « escorcherie » pour les puissants, une colossale
escroquerie pour le peuple.
    Louis XII était aux portes du paradis, «  tout
était plaisance pour lui avec cette mortelle feste  ». Ce roi de
guerre, ce vainqueur d’armes achève donc le portrait d’un souverain à l’âme
vertueuse, prince redoutable et vaillant, le preux des preux et digne des plus
nobles figures de notre Histoire.
    Milan fut pris au mois de septembre ; il avait fallu à
peine un mois pour réaliser cette conquête. C’est sous l’inscription «  Loys,
roy des Francs, duc de Milan  » peinte sur un immense écusson entouré
de fleurs de lys tout en or et surmontant la grande porte que le roi vainqueur
fit une entrée somptueuse dans la ville. Les cris d’allégresse d’une foule
enthousiaste parvenaient à se faire entendre malgré les volées de cloches de
toutes les églises et les fanfares de milliers de

Weitere Kostenlose Bücher