Le bouffon des rois
d’Écosse, le roi de Hongrie, le roi de
Bohème, la Confédération helvétique, l’empereur Maximilien et plusieurs princes
électeurs d’Allemagne.
Mais Louis rêvait de conquêtes : rêves de gloire
indispensables au prestige de la monarchie pour affirmer la puissance de son
nouveau statut de roi. Il était fasciné par l’Antiquité, féru de l’histoire des
empereurs romains qu’il lisait en latin et il connaissait sur le bout du
Rubicon toutes les campagnes de Jules César.
Il voulait aussi qu’on le comparât aux chevaliers héros de
guerre du Moyen-Âge, courageux, vaillants, triomphants et glorieux. La guerre
offrait l’opportunité de briller à des hommes courageux, certes, mais
inconscients du danger. Son caractère, qui pouvait être de douceur, de sagesse
et de prudence, se transformait jusqu’à atteindre une cruauté bestiale
insoupçonnable. C’était le roi guerrier dans toute sa splendeur. Il en avait
l’étoffe et pas seulement par ses habits qui n’avaient plus la simplicité
quotidienne. Pour partir guerroyer, il portait une robe blanc et rouge brodée
d’or qui recouvrait son armure forgée à la manière de celle des empereurs
romains. Le casque était surmonté d’un plumet recouvert de fils dorés, ses
éperons étaient en or, naturellement, tout comme le harnais et les étriers de
sa monture, qui elle-même était revêtue d’une robe semblable à celle de son
maître.
J’avais la folie de penser (c’était ma seule façon de
penser !), j’avais la folie de penser qu’un bouffon n’avait rien à faire à
la guerre et j’espérais rester bien à l’abri entre les murailles rassurantes de
ce beau château de Blois.
Mon roi ne l’entendit pas ainsi et me pria d’aller sans
tarder préparer mes malles en me commandant de ne pas oublier d’y mettre mes
attributs et mes instruments pour lui donner « festes et
réjouissances ».
« Mon Beau Sire, laissez-moi céans ! Je ne suis
pas fait pour m’en aller à la guerre. Tous vos chevaliers sont preux, moi je
suis peureux !
— Je te veux près de moi où que j’aille. Là-bas,
j’aurai besoin de maintes distractions. Va préparer tes malles et fais-les
charger dans ta carriole. »
Je détestais les voyages pour la bonne raison que je n’en
avais jamais fait, n’étant allé que de Blois à Amboise et d’Amboise à Blois.
J’arpentais les couloirs et les salles du château en gémissant :
J’étais à
Blois
Où je ne
m’ennuyais guère
Mon roi me
traîne à la guerre
Je suis aux
abois.
Il fallut plusieurs semaines de préparatifs pour qu’enfin,
au début du mois de juin 1499, l’immense et imposant cortège se mit en
mouvement et s’étirât comme une longue chenille multicolore. Les haltes furent
nombreuses, la première, dans la plate Sologne, au château de Romorantin où
Louis conduisit sa « tendre » et chère Anne, sa « brette »,
enceinte de cinq mois.
« Vous ne pourrez pas être mieux qu’en cet endroit,
Madame, pour mettre au monde le dauphin que le royaume tout entier attend avec
une impatience bien compréhensible. Nous allons déjouer cette malédiction qui
refuse un héritier à la couronne de France depuis presque trente ans. »
En ce château, vivait Louise de Savoie. Veuve dans sa
vingtième année, elle n’avait gardé de son mariage avec Charles, comte
d’Angoulême, que peu de souvenirs ineffaçables hors la naissance de ses deux
enfants et surtout de ce gros garçon de cinq ans, François, duc de Valois,
l’orgueil et la joie de sa vie, qu’elle appelait son idole. Elle était prête à
se sacrifier elle-même et, à plus forte raison, à sacrifier le monde entier
pour le voir régner à la suite de notre roi Louis.
Cette femme, dotée d’une force de caractère peu commune,
s’était accommodée avec une grande philosophie des frasques de son époux
qu’elle ne pleura pas quand il mourut prématurément ; elle resta même en
excellents termes avec l’une de ses maîtresses dont elle éleva les enfants avec
les siens.
Elle sera toujours aux aguets lors des naissances et des
disparitions successives des enfants de Louis XII et d’Anne de Bretagne de
même qu’elle l’avait été lorsque Charles VIII fécondait « la
BretAnne » comme elle se plaisait à la surnommer perfidement. Elle ne
songeait même pas à cacher sa joie quand un héritier mâle disparaissait avant
terme.
Les astrologues lui avaient promis un avenir glorieux
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