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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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le sien, qui est à
dire accoinctance honnourable et aymable intelligence.
     
    Ne trouves-tu pas que notre manière de s’exprimer était
vraiment superbe ? Tout y est aussi clair et concis que dans une strophe
de rap. Peut-être vais-je avoir l’outrecuidance de te traduire le mot intendyo  :
c’est l’équivalent de chevalier servant. En tout bien tout honneur, tu n’en
doutais pas !
    Je ne te cache pas mon impatience de revenir à la cour et
d’être présent quand notre historiographe national fera la lecture de ce
passage à notre « bonne reine » qui entretenait une vigilante
jalousie féroce attisée par la souvenance des frasques
« prémaritales » de son époux qui était resté avec «  la
graciosa Thomassina » avenant, affable mais proche de passer la limite
de l’amour courtois.
    J’eus peur un instant que mon roi recouvre ses anciennes
manières de « pratiquer l’amour discourtois et ravageur » qui avait
fait naguère sa réputation mais, pour ne pas l’avoir quitté d’une semelle, je
peux me porter garant de sa chasteté. Le matin qui suivit cette grande et
inoubliable fête, grisé par une fièvre vineuse due aux généreuses richesses
fruitées des grands crus italiens, il n’a cependant pas pu résister à la folle
idée de passer sous les fenêtres de la dame qui, depuis peu, s’était mise au
lit avec son époux. Il fit demander s’il ne pourrait pas la saluer à son
balcon, et dans les rayons naissants du soleil effaçant l’aurore, elle
accourut.
     
    Belle, sans
ornements, dans le simple appareil
    D’une beauté
qu’on vient d’arracher au sommeil.
     
    (C’est la phrase que j’ai immédiatement murmurée dans mon
extase et je suis assez fier qu’un grand poète du XVII e siècle se la
soit accaparée.)
    Immobile et médusé aux côtés de mon roi, j’ai pu me délecter
un court mais intense instant de la perfection d’un corps de femme à la peau
légèrement cuivrée sur laquelle fleurissaient une magnifique chevelure noire et
un adorable et abondant duvet assorti.
    C’est la première fois que je vis mon « Beau
Sire » sur les rives dangereuses de l’infidélité. Je sais qu’il n’y
plongea pas mais il s’y aventura assez pour avoir les pieds bien
mouillés !
    En confidence, Dieu sait si je tenais mon roi en haute
estime et loin de moi d’en dire jamais le moindre mal mais je m’étonnais que
cette Thomassina, cette perfection sculpturale d’une vingtaine de printemps qui
ne connaîtra sûrement jamais le moindre automne, fît tant d’efforts pour
séduire un homme à l’hiver de ses quarante ans qui n’avait pour principal atout
que le charme d’un roi vainqueur. Je crois, en mon for intérieur, qu’elle avait
été mandatée par les notables milanais pour obtenir, par le biais d’une
économique séduction, des arrangements et des allègements concernant les
exigences du nouveau duc de Milan.
    Quelques jours plus tard, arriva de Romorantin une nouvelle
à la fois bonne et mauvaise : le 14 octobre, la reine Anne avait mis
au monde non pas l’héritier de la Couronne tant espéré mais une fille à
laquelle elle donna le « doux » prénom de Claude.
    J’imaginais le soulagement et la jubilation de Louise de
Savoie au bout du lit de la reine quand Madame de Tournon, la gouvernante,
annonça d’une voix forte et enjouée en déposant l’enfant dans les bras de sa
maman :
    «  Majesté, c’est une fille ! »
    Anne, à qui rien n’échappait, eut le temps d’apercevoir la
lueur de joie qui brillait dans les yeux de Louise, ce qui attisa davantage la
haine qu’elle lui vouait.
    Le bébé Claude avec sa petite tête de pruneau fripé était
bien chétif et l’on pouvait redouter le pire mais Anne l’entoura de tels soins
et d’une vigilance sans repos que la future reine Claude afficha bien vite une
figure poupine d’appétissante prune aux joues d’ambre.
    Vu son jeune âge, le petit François n’était pas présent lors
du royal accouchement, tout à son éducation que Louis XII avait confiée au
seigneur Jean de Saint-Gelais, homme de haute stature assez conscient de sa
séduction à tel point que la veuve non éplorée de son poète de mari lui accorda
toutes ses faveurs. C’était une mère attentive qui ne reculait devant aucun
sacrifice pour veiller à la bonne instruction de son fils chéri qu’elle
imaginait à chaque seconde voir porter la couronne de France.
    À mon retour d’Italie, comme si je

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