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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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pour nous
éviter à l’un et à l’autre les foudres royales qui nous auraient consumés sur
place si notre secret avait eu le malheur d’être éventé.
    Pendant que je m’entraînais à « cabrioler » et à
articuler de nouvelles facéties, ce sympathique jouvenceau prenait le temps
d’étudier à son aise en puisant sa science dans les nombreux ouvrages que nous
avions à notre disposition. Que serions-nous devenus si Johannes Gensfleisch
n’avait pas existé ?
    Pardon ?
    Tu ne sais pas qui est Johannes Gensfleisch ?
    Si je te dis qu’on l’appelait aussi Gutenberg ? Ah oui,
tout de même, tu as imprimé ! Sans lui, et surtout sans notre prieur de la
Sorbonne Guillaume Fichet, nous n’aurions pas pu avoir entre les mains tous ces
ouvrages écrits en latin ou en bon françois. L’imprimerie s’était énormément développée
dans tout le royaume et l’on pouvait même trouver des publications italiennes
éditées en petits formats plus pratiques à transporter dans sa besace d’un lieu
à un autre que les lourds volumes habituels. L’Église avait tout de suite
accaparé cette invention novatrice pour faire imprimer ses textes sacrés mais,
heureusement, nous avions accès à moult recueils des grands auteurs classiques
de l’Antiquité que je lisais sans lassitude. La mode était aussi à la
publication de confessions ou de mémoires où tout le monde prenait plaisir à se
raconter allègrement : cardinaux, courtisans, architectes, peintres et
sculpteurs. Ils enjolivaient leurs exploits tout comme les historiographes
attitrés de la cour ne se gênaient pas pour détourner l’Histoire en caressant
la royauté dans le sens du poil.
    Heureusement que je suis là ce soir pour rétablir la vérité.
Je te le répète, il n’y a que les bouffons pour être les miroirs réformables de
la réalité. C’est grâce à nous que le peuple peut arriver à faire le tri parmi
les mensonges et les promesses miroitantes dont il est abreuvé.
    François Bourcier et moi, nous échangions nos points de vue
sur tel ou tel livre, nous discutions d’une traduction que nous trouvions plus
fidèle à la pensée de l’auteur et nos jugements étaient si semblables que nous
en riions de bon cœur, ce qui renforça notre complicité et ravit ceux qui nous
avaient réunis. Ma modestie eût-elle une fois encore à en souffrir, j’avais
souvent l’impression d’être le précepteur de mon précepteur, tant il me
demandait de l’instruire sur des sujets qui touchaient aux mœurs de la cour
qu’il découvrait et qu’il appréciait davantage de jour en jour, rêvant de
devenir bientôt un de ses obséquieux courtisans.
    Il est vrai que ma science était telle sur ce vaste sujet
que j’en aurais remontré au grand chambellan lui-même qui était censé ne rien
ignorer des us et coutumes de la cour.
    À son retour d’Italie, à Blois, dans le somptueux château de
sa naissance tout de neuf restauré, Louis XII retrouva sa reine qu’il prit
temps de choyer tout comme sa fille Claude. Il reprit de plus belle ses séances
au Grand Conseil où je me devais d’être toujours inventif, surprenant et
pertinent. Quand il réglementait de façon plus rigoureuse la Chambre des
comptes de Paris et qu’il surveillait de près la gestion des aides et des
impôts en rappelant à ses trésoriers de bien prendre garde de continuer à
diminuer la taille, je m’amusais à imiter les mines des conseillers qui
passaient de renfrognées à revêches quand mon roi éclatait de son rire joyeux et
approbateur. Je restai muet (était-ce de stupeur ou d’effroi ?) quand
Louis prit des mesures pour mieux organiser l’administration de la justice par
la grande ordonnance de Blois. Les juges convoqués semblaient trouver légitime
de n’engager aucune poursuite pour les viols collectifs de plus en plus
fréquents commis par de jeunes garçons n’ayant même pas atteint leur majorité.
    Les juges condamnaient même l’attitude provocante de la
victime qui, selon leur impartial jugement, n’avait que ce qu’elle méritait.
Ces jugements heurtant la bienséance et prouvant que la femme ne comptait guère
dans leur opinion n’étaient pas du tout appréciés par mon roi qui sut faire
entendre aux juges, par de vertes remontrances, que ce n’étaient pas eux qui
détenaient les pleins pouvoirs et qu’il restait le suzerain suprême épris de
justice, de paix, toujours à la recherche de la perfection tout en conservant
une

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