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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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n’avais pas eu ma dose de
morts, un premier deuil me frappa en plein cœur, mon bon sieur Le Vernoy passa
l’arme à gauche dans d’atroces souffrances, hoquetant, toussant et crachant des
flots de sang et de pus qui se projetaient hors de ses poumons comme
d’effrayants feux d’artifice. J’étais près de lui dans ces derniers
moments ; il ne lâchait pas ma main et je lisais dans ses yeux la
gratitude de ne pas le laisser mourir tout seul.
    On craignait les épidémies, la toux était bruit dérangeant
et alarmant et la maladie n’était pas la bienvenue dans l’entourage royal. Le
Vernoy avait été mis à l’écart dans un sous-sol humide loin de toute
« contagion ». Ce mot qu’on avait volontairement banni du vocabulaire
courant revenait régulièrement « à la mode », surtout depuis les
dernières épidémies de peste qui avaient ravagé une bonne partie du royaume, et
suspicion et prudence étaient de mise quand le moindre égrotant faisait son
apparition. Il me fit signe de m’approcher un peu plus près de lui et me
balbutia à l’oreille :
    « Merci de m’avoir si bien écouté et surtout merci pour
ce que tu es. »
    C’était la première et la dernière fois qu’il me tutoyait.
Je m’apprêtais à lui répondre quand je le vis prendre une ultime respiration
avant de laisser tomber sa tête sur son épaule gauche en exhalant un dernier
soupir que je qualifiai de délivrance.
    La bonté de cet homme, sa modestie, son érudition, son savoir
immense qu’il aimait à transmettre, sa patience, son abnégation, son indulgence
et sa tolérance resteront pour moi l’exemple même de l’enseignement d’un maître
comme peu ont la chance d’en croiser durant leur existence ; ceux qui ont
le don si rare de savoir léguer à leurs disciples un enseignement qui n’est pas
seulement celui d’un moment mais celui de toute une vie.
    On a osé écrire qu’il m’a instruit à coups d’innombrables
volées d’étrivières. Faussetés et calomnies ! Il n’a jamais levé la main
sur moi, si ce n’est par deux fois pour me caresser la joue en signe
d’encouragement et peut-être d’affection.
    J’étais encore en larmes au bord du trou profond où l’on
avait précipité le corps recouvert de chaux de mon maître aimé quand quatre
gaillards encapuchonnés me soulevèrent de terre et m’emportèrent sans
ménagement dans une salle où l’on m’arracha mes vêtements pour les brûler
aussitôt.
    On me jeta ensuite dans une grande bassine d’eau bouillante.
La séance du « Triboulet nettoyé » achevée, je finissais à peine
d’enfiler de nouvelles chausses propres et nettes qui n’avaient pas effleuré de
près ou de loin l’agonisant que je vis arriver un jeune homme de taille
moyenne, les mains jointes et le corps un peu penché en avant. Je me fis
d’emblée la réflexion qu’il devait sortir d’un séminaire ou qu’il n’allait pas
tarder à y entrer. Il se présenta à moi d’une voix douce et mélodieuse comme un
cantique :
    « Bonjour, je me nomme François Bourcier. Je suis votre
nouveau précepteur. »
    J’ignorais que l’on eût déjà désigné un remplaçant à mon
défunt maître et j’en lâchai mes chausses me découvrant de la ceinture
jusqu’aux genoux et lui adressant un regard ahuri. Cet inhabituel
« esbaubissement » ne le perturba pas un brin et même l’amusa fort,
car il continua sans hausser le ton :
    « C’est monseigneur d’Auton qui, avec l’accord de Sa
Majesté, a pensé que je pourrais vous être d’une quelconque utilité. »
    Monsieur le prieur d’Angle prenait bien soin de moi et je
lui en savais gré mais quelle drôle d’idée de m’envoyer un garçon qui avait
sensiblement le même âge que moi, ignorant évidemment tout de ma fonction et
qui se demandait « à mon instar » ce qu’il venait faire en ma
compagnie. Je lui fis vite comprendre qu’il n’allait pas m’être d’un grand
secours dans un domaine que je maîtrisais parfaitement et je lui démontrai que
j’étais à présent, grâce à feu mon bon Le Vernoy, tout à fait capable de
compléter par moi-même une formation infrangible pour atteindre le plein
épanouissement dans cette fonction de premier et unique bouffon de la cour.
    Il en convint aisément et m’approuva sans retenue quand je
lui proposais de nous entendre pour donner le change tout autour de nous afin
d’arrondir les susceptibilités de notre prieur d’Angle et surtout

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