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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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bourdonnement étrange et apaisant que je m’imaginais être
celui du repos éternel. Si je te parle en ce moment, cela signifie qu’il existe
une éternité mais pas de repos.
    En sortant de l’eau, je me séchais aux rayons brûlants du
soleil qui brillait à son zénith. Je le fixais jusqu’à m’aveugler puis je
fermais les yeux, ne sentant même plus mes paupières rougies. Je n’étais plus
moi-même mais un être libre, beau, grand et fort comme j’aurais souhaité.
    Ressembler au superbe chevalier Bayard ou au noble seigneur
de La Palice. Planté sur le bord de la rive, sans personne alentour, je me
mettais à hurler les bras en croix :
    « Divin astre du jour, brille sur moi, brille pour
moi. »
    Il fallait bien que je me rhabille et tout en enfilant mes
vêtements, je reprenais conscience de ma contrefaçon humaine.
    Il était vain de penser que ma condition d’éveilleur de
souffre-douleur était loin derrière moi. Quelle erreur ! Bien sûr, je
continuais à rire de moi-même, faisant semblant d’être habitué à ma difformité
et l’ayant parfaitement assumée. Je savais que ma position serait renforcée si
je savais souffrir en silence. Cette identité que je m’étais forgée comme un
solide paravent cachait mon état malheureux et évitait de mettre au jour mon
malaise en société. Elle servait à montrer qu’au contraire j’étais à sa
recherche pour mettre de la gaieté sur ma souffrance. Tout en ressentant les
choses profondément, je devais paraître étranger aux émotions, insensible ou
ignorant de ce que peuvent être chagrin et joie, ignorer les quolibets et les
regards hostiles, maîtriser mes pulsions agressives. Ensuite peaufiner mes
armes pour riposter : mimer l’attitude adéquate, utiliser les bons mots en
me servant de la parole comme les chevaliers se servaient de leur épée. Faire
tomber des têtes ou ruiner des réputations au moyen de « la formule qui
tue » en prenant bien garde de ne jamais être pris en défaut.
    Quand je présentais mon corps difforme et ma laideur
grotesque comme des objets dont on s’amusait, ma souffrance n’était pas que
morale, je supportais en plus une souffrance physique qui me prenait soudain,
comme si on avait pénétré à l’intérieur de mon corps pour en triturer les os.
    Je pouvais à peine poser le pied par terre, des milliers
d’aiguilles s’enfonçaient au plus profond de mes os. Ma bosse devenait un
intolérable fardeau, j’aurais voulu me gratter tout au creux, la crever avec un
couteau pointu pour qu’elle se dégonfle comme une pauvre vessie. Je n’avais
plus qu’un moyen, surmonter la douleur en en faisant un ressort comique pour
l’entourage qui riait de bon cœur de me voir ainsi feindre, alors que le mal me
rongeait avec frénésie. Tu me croiras si tu veux, mais en l’exagérant
j’arrivais à oublier la douleur.
    Est-ce que la laideur et la difformité sont des critères
rassurants pour devenir l’objet de constantes dérisions ? L’absence du roi
dut donner de l’audace à certains qui projetèrent de perturber méchamment ma
tranquillité, mais leurs mauvaises intentions n’aboutirent pas. J’avais un
protecteur puissant en la personne du maréchal de Gié qui s’occupait toujours
aussi bien de mon cher François, lequel avait passé l’âge de raison.
L’admiration de sa mère était immuable tout comme sa détermination à ne pas
céder aux avances de plus en plus insistantes du maréchal. Louise n’avait pas
le cœur à la bagatelle, elle venait d’apprendre que notre reine Anne était
grosse du roi et accoucherait dans les premiers jours de janvier prochain.

 
Chapitre cinquième
    L’année 1503 s’ouvrit sous de tristes auspices : à la
fin du mois de janvier, la reine accoucha d’un fils qui ne vécut que quelques
heures. La joyeuse perspective d’avoir enfin un héritier à la couronne de
France fut de courte durée et laissa la place à une grande déception. Louise de
Savoie tenta de cacher sa réjouissance et son soulagement en promenant un
chagrin avec trop d’ostentation pour être vraiment sincère. Je n’étais pas dupe
de ses larmes de « crocodilus » quand elle répétait à chaque instant
avec des sanglots dans la voix :
    « Pauvre petit si tôt monté au ciel, faute de
vie ! »
    Le désenchantement de ne pas avoir encore l’héritier
souhaité fut compensé par le retour de notre roi victorieux et par les récits
des combats qui firent l’admiration

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