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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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veux, je te l’accorderai. Si tu as besoin de
te débarrasser d’un importun, j’ai des médecines douces qui ne laissent aucune
trace. »
    C’était l’opportunité rêvée de mettre fin à ces fréquentatives
humiliations courtisanes qui commençaient à me lasser.
    « N’as-tu pas quelque remède qui ne tue pas mais qui
peut provoquer une gêne passagère et incommode ? »
    Je partis de chez elle ce jour-là avec une décoction chargée
en feuilles d’aubour. J’avais de quoi me venger de ce groupe de courtisans.
    Je n’eus pas longtemps à attendre pour savourer leur
châtiment. Le soir même, un nouveau banquet était servi à toute la cour dans la
grande salle à manger du château qui résonnait des bruyantes conversations. Au
cours du repas, personne ne faisant attention à moi, j’avais repéré l’endroit
de la table où mes « bousculeurs » étaient tous agglutinés. Je suivis
le marmiton qui apportait la soupière qui leur était destinée et, sans être vu,
je versai le contenu du sachet que la matrone m’avait donné. Elle m’avait
assuré que la poudre se diluait instantanément et n’altérait en rien le goût
des aliments.
    Revenu discrètement prendre ma place auprès de mon roi, je
les regardai se servir abondamment jusqu’à vider entièrement la soupière pour
laper goulûment et bruyamment leur potage. Ma chère matrone ne m’avait pas
menti : à peine s’essuyaient-ils la bouche d’un revers de manche que la
décoction fit son office, provoquant des vents violents et nauséabonds.
    Je fus au comble du ravissement quand, sous les regards
dégoûtés de leurs voisins de table, je les vis tous se lever d’un bond et se
précipiter hors de la salle du banquet pour aller empester les couloirs et
faire s’ébaudir pages et laquais qui les entendaient lâcher des pets sonores en
se tordant de douleur. Et quand mon roi me posa l’inévitable question :
    « Qu’ont-ils donc à quitter ainsi la table ?
    Je répondis évidemment :
    « Beau Sire, ils sont partis en coup de vent toutes
affaires “pétantes” ! »
    Louis adorait mes plaisanteries graveleuses et voulait
toujours que la reine partage son hilarité. Elle ne décochait pas la grimace
d’un sourire et en profitait pour dire de sa voix hautaine et cassante :
    « Louis, Triboulet est votre bouffon. Il vous amuse et
c’est tant mieux. C’est son emploi ! Je le tolère comme je tolère vos deux
molosses, rien de moins, rien de plus. Mais ne me demandez pas de cautionner
ces incongruités. J’ai, Dieu merci, des divertissements qui sont de plus haute
lignée ! »
    Je craignais que cette évidente incompatibilité d’humeur
entre elle et moi, loin de s’amenuiser, finisse par me nuire. Ne venait-elle
pas de chasser de la cour une de ses demoiselles d’honneur favorites qui avait
eu le malheur de lui cacher son mariage clandestin ! Elle l’avait renvoyée
dans l’heure chez son père avec ordre de la tenir enfermée. Elle s’arrangea
ensuite pour que Louis envoyât le jeune marié en ambassade au fin fond de
l’Empire ottoman et personne n’eut jamais plus de ses nouvelles. Elle mettait à
profit la santé chancelante de son mari pour obtenir de lui tout ce qu’elle
désirait. Je voyais venir le moment où elle demanderait mon exil, voire
pire : le fil ténu qui me reliait à la vie pouvait vite se transformer en
une grosse corde de chanvre, déplaisante collerette pour pendouiller tout au
haut d’un gibet.
    Mais mon inquiétude première se manifestait surtout pour mon
roi qui s’affaiblissait de jour en jour. La rapidité avec laquelle la
vieillesse rongeait son corps était impressionnante. L’air qu’il respirait ne
paraissait plus suffisant quand il devait monter les marches d’un escalier
qu’autrefois il grimpait quatre à quatre, laissant derrière lui des courtisans
époumonés et un bouffon frappé de dyspnée.
    L’atmosphère de la cour changea du tout au tout. Le peu de
gaieté qui y régnait laissa place à une tristesse accablante. Je m’efforçais
bien de continuer à distraire mon roi mais même ses sourires de gratitude
étaient aussi sinistres qu’alarmants.
    Louis, conscient de sa santé chancelante, sentait
parfaitement que « sa chère Anne » prenait véritablement un fort
ascendant sur ses décisions.
    Il avait alors des sursauts de révolte et des démonstrations
outrancières de pouvoir qui devenaient des provocations permanentes envers sa
femme et la cour. Le

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