Le bouffon des rois
jour où il appuya fortement le mariage de Marguerite de
Nemours avec le maréchal de Gié (qui en profita pour s’approprier aussitôt le
titre de duc de Nemours !) fut la goutte qui fit déborder le vase de
Bretagne. Anne jura à cet instant précis la perte du maréchal. N’oublie pas que,
sous ses abords agréables qui trompaient tout le monde (sauf moi !), elle
pouvait être odieuse et sa rancune était une arme redoutable. Gié allait
bientôt l’apprendre à ses dépens.
Sous ses apparences rustaudes, le maréchal pouvait cependant
se montrer un fin politique ; il avait remarqué depuis fort longtemps que
le roi accordait de moins en moins sa confiance à Georges d’Amboise qui, lui,
se rapprochait de plus en plus de la reine.
Tout membre du Conseil avait ses propres espions qui tous
éprouvaient grande méfiance envers moi, évidemment ! J’étais au courant du
moindre détail des événements quotidiens de la cour et des rumeurs de couloirs.
L’on savait pertinemment que je pouvais tout répéter au roi
ou même pire : en parler haut et fort à tout moment. Gié poursuivait avec
compétence l’éducation de François d’Angoulême et se faisait remettre heure par
heure en main propre plusieurs rapports décrivant ce qui se passait en son
absence dans l’entourage du roi et de la reine. Je l’avais maintes fois surpris
exprimant sa préoccupation à propos de la santé vacillante et des
manifestations de la sénilité précoce de son souverain. La dernière semaine de
février, ayant réussi – et ce n’était pas chose facile ! – à
tromper la vigilance de la reine, je le vis accourir auprès du roi. Je
l’apostrophai d’entrée :
Beau Sire,
Faites
résonner tambours
Voici le duc
de Nemours,
Titre qui a
vu le jour
Grâce à ses
belles amours
Avec son
épouse favorite
La toute
belle Marguerite.
Le maréchal, ne m’accordant même pas un regard courroucé ni
une main levée en signe de menaces badines, entra sans ambages dans le vif du
sujet :
« Majesté, je me permets de mettre en garde mon
souverain contre la complaisance amoureuse qu’il manifeste envers sa bien-aimée
épouse. »
Louis lui répondit en haussant les épaules :
« Il faut qu’un homme souffre beaucoup d’une femme
quand elle aime son honneur et son mary. »
Gié insista :
« C’est le devoir d’un roi d’oublier son amour quand le
sort de la France est en jeu. Votre reine est plus bretonne que française et
depuis la naissance de votre fille, elle vous pousse à concrétiser son mariage
avec Charles de Gand. Vous n’ignorez pas que la Bretagne tomberait
irrémédiablement aux mains des Habsbourg et c’est bien l’unique but de
Maximilien : soustraire la Bretagne à la France pour en faire don à
l’empire. »
Louis ne répondit rien et continua de fixer le maréchal de
ses deux yeux qui, enfoncés au creux de leur orbites, brillaient d’un éclat
impressionnant.
Sans se démonter, Gié repartit de plus belle :
« Sire, il y a trois années, vous avez signé une
déclaration secrète annulant par avance le mariage de Claude de France avec un
autre prince que François, il est temps de signer une confirmation formelle de
cet engagement. Le temps passe, votre fille Claude a cinq ans et François dix
ans. Vous n’ignorez pas que je continue avec zèle à préparer le fils de Louise
de Savoie au métier de roi et je peux vous garantir qu’au vu de son aptitude et
de sa célérité à assimiler mes enseignements, il ne pourra que devenir le digne
successeur de Votre Majesté. »
Louis se tourna vers moi, comme pour chercher une
approbation, et je m’empressai de lancer, en écartant les bras dans un geste
d’évidence :
« Il ne faut allier les souris qu’aux rats de son
grenier ! » Lorsqu’il tendit à mon roi un parchemin qu’il ne prit pas
la peine de lire, Gié crut bon d’ajouter :
« Dans deux années, vous pourrez fêter officiellement
leurs fiançailles. »
Dès que mon roi eut apposé sa signature et le sceau royal,
le maréchal afficha un sourire épanoui et se retira non sans avoir exécuté
force courbettes. Louis n’eut pas le temps de se retourner vers moi une
nouvelle fois que ma marotte s’agitait déjà dans un petit bruit de grelots qui
rythmaient ma phrase :
Ô Roi
grandiose,
Quand tu
apposes
Ton royal
sceau
Et que tu
signes,
C’est bien le
signe
Que tu n’es
pas sot.
Dans les jours qui suivirent, le nouveau duc
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