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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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(que
j’avais déjà anobli en le surnommant « l’aqueduc blafard ») avait
d’importantes révélations à faire à Sa Majesté au sujet du maréchal de Gié. Mon
roi recevait peu et désormais dans sa chambre. Sous une croisée, je m’étais
trouvé un petit recoin assez lumineux où je pouvais lire en toute quiétude.
Pour y être encore plus à l’aise, j’avais superposé deux couvertures en hermine
sur lesquelles je pouvais m’étendre confortablement et où les chiens Chailly et
Herbault venaient souvent me rejoindre, préférant la douceur et la chaleur de
la fourrure aux carreaux glacés de la chambre de leur maître. Quand Pontbriand
fut introduit, je fermai avec regret le livre des Fables d’Ésope qui
m’enchantaient les sens et mes oreilles s’agrandirent autant que celles de mon
coqueluchon privé de grelots à l’écoute de son récit.
    Sans rien nous apprendre de bien nouveau, les accusations
très graves portées contre le maréchal par ce pauvre Pontbriand paraissaient
confuses et contradictoires comme une leçon pas très bien apprise et mal
récitée. Louis l’écouta distraitement et le congédia en ayant bien soin de lui
signifier qu’il ne croyait pas à la culpabilité de son cher Pierre de Rohan. Il
lui conseilla d’aller voir Georges d’Amboise pour lui demander son avis. Je
profitai du court moment où le chambellan en raccompagnant Pontbriand à la
porte de la chambre me tournait le dos pour glisser à mon roi en
chuchotant :
     
    Ce Pontbriand
    N’est point
brillant
    En conspuant
Pierre de Rohan
    Pour
l’effigier
    Et le
“fustiGié”.
     
    Mon roi se mit à rire, ce qui ne lui était pas arrivé depuis
bien longtemps. Ses hoquets de rire se transformèrent en une toux tenace qui
manqua de l’étouffer. Les valets de chambre appelés en hâte le portèrent
jusqu’à son lit où l’on réussit à lui faire boire un peu d’eau puis à
l’étendre. L’étranglement se mua en une respiration saccadée qui n’inquiéta pas
les médecins aussitôt accourus.
    Ma fonction était de faire rire le roi mais pas de le faire
mourir de rire. Quel aurait été mon sort si, par mauvaise fortune, le roi avait
trépassé des suites de mes deux tiercets ? Je n’osai y songer.
    Le chambellan entra dans une grande colère, me chassa de la
chambre et m’en interdit l’entrée pendant plusieurs semaines malgré les
instances du roi qui me réclamait à ses côtés.
    L’entourage de la reine et la reine elle-même se
félicitèrent de cette opportunité de ne plus avoir de témoin gênant pour
persister plus aisément dans leur chasse à l’homme.
    Je prévins le maréchal du complot que l’on fomentait contre
lui. Il me répondit qu’il n’en était pas le moins du monde étonné et qu’il
attendait tous ses détracteurs de pied ferme, n’ayant rien à se reprocher.
    Mais quand la calomnie, la haine, l’envie, la méchanceté, le
mensonge, la mauvaise foi et la détermination ont décidé de s’unir, même
l’honnêteté et l’âme la plus pure ne peuvent lutter. Le maréchal avait trop
d’ennemis et la reine était trop affamée pour lâcher une proie qu’elle avait
décidé de dévorer. Sa rancune décupla son énergie et elle mit en marche sa
machine de destruction.
    Georges d’Amboise, pour entrer en grâce après de sa reine,
fit semblant de prendre au sérieux les ridicules accusations de Pontbriand.
C’était la contingence idéale pour évincer un rival encombrant. Je fus à tel
point écœuré de sa conduite hypocrite que je ne lui ai plus jamais adressé la
parole jusqu’à son dernier soupir.
    Il savait pertinemment que Gié n’était pas coupable. Il n’en
rédigea pas moins un acte d’accusation qui dénonçait les agissements
malveillants du maréchal contre Anne de Bretagne lors de la maladie du roi.
    Louis XII prit connaissance de l’acte et y attacha la
même importance qu’à l’audition de Pierre de Pontbriand.
    Je n’étais pas présent quand eut lieu une scène homérique
entre Anne et Louis. Je te dis « scène » mais c’est monologue que je
devrais dire, la reine n’ayant pas laissé son époux placer un mot durant près
d’un quart d’heure. De mon logement, pourtant situé à une bonne distance des
appartements royaux, j’entendais les éclats de voix et les cris déchirants
d’une Bretonne au bord de la crise de folie. Elle alla jusqu’à se traîner aux
genoux de Louis en se tordant les mains et en hurlant ses

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