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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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la demi-obscurité, j’avais eu le temps de
reconnaître quelques-uns de mes agresseurs car ma mémoire visuelle ne me trahissait
jamais. Je les avais, comment dis-tu ? Ah ! Vous employez un terme
qui résume parfaitement ce que j’avais imprimé dans mon cerveau.
Aide-moi ! Il existe depuis que Nicéphore Niepce a réussi à figer une
image sur du papier… La photographie ! Merci, c’est bien cela !
    Je les avais « photographiés » et leurs figures
étaient soigneusement rangées comme un souvenir ineffaçable tout au fond de ma
grosse tête. En mon temps, nous n’avions que les peintres ou les enlumineurs
pour nous tirer le portrait. Moi, je n’ai jamais eu l’honneur de figurer sur un
tableau, il n’existe qu’un dessin de moi. Tu peux toujours aller l’admirer au
château de Chantilly. C’est une sanguine faite au crayon par l’admirable Jean
Clouet qui fera d’ailleurs le portrait le plus célèbre de François I er .
Un peu de patience, nous arrivons bientôt à son règne ! Si tu t’attardes
quelques instants devant ce dessin, tu remarqueras qu’il est aberrant que l’on
ait pu me traiter de benêt sans malice tant mon regard narquois respire
l’intelligence.
    Le lendemain matin, je suis allé rapporter l’événement de ma
nuit agitée à mon roi qui avait été déjà mis au courant de ma mésaventure. Il
me demanda si j’avais reconnu mes agresseurs. Je me suis offert le plaisir de
les décrire avec une telle précision qu’il ne fut pas difficile de les trouver
et de les amener céans devant Sa Majesté. Je ne suis pas comme cet imbécile de
Caillette, j’ai reconnu chacun d’eux. Certains, tremblant de peur, s’oublièrent
et n’hésitèrent pas à mouiller leurs chausses. Le chambellan nomma le seigneur
à qui ils appartenaient. Le roi ordonna qu’on les chassât de sa vue et qu’on
les punisse sévèrement en m’assurant que l’histoire n’en resterait pas là.
    Le soir même, il réunit la cour qui faisait déjà des gorges
chaudes de l’incident de la nuit et certains courtisans s’étonnèrent même de me
voir encore debout, ou plutôt courbé comme à mon habitude.
    Louis le douzième prit la parole :
    « Mes seigneurs, l’un d’entre vous a cru bon d’envoyer
quelques sbires pour caresser le dos de mon bouffon ici présent, dos qui est
déjà assez cabossé sans que vous vous mêliez de lui donner plus grand volume.
Pour se passer de tels traitements, j’ai châtié ces manants qui ont eu la
lâcheté d’attaquer un infirme qui ne fait de mal à personne si ce n’est de vous
dire vos quatre vérités et, croyez-moi, vous en méritez bien davantage. »
    Puis se tournant vers moi, avec un doux regard de complicité
affective :
    « Triboulet, que diras-tu à ce lâche qui t’a cherché
noise ?
    — Mon Beau Sire, je lui dirai que, tout comme vous,
cela ne m’étonne qu’à moitié. Mais ne perdons pas la moitié de notre temps en
bavardages et ne disons pas les choses à moitié : comme ce bon seigneur ne
fait pas non plus les choses à moitié, je vous propose de réduire de moitié ses
bénéfices que nous partagerons moitié-moitié entre les pauvres et les blessés
de nos guerres.
    « Cher seigneur, n’étant plus que la moitié de
vous-même, vous serez obligé de réduire de moitié votre somptueux train de vie
mais ce n’est que justice car me voici à moitié vengé. »
    Plus jamais je ne fus agressé ou même bousculé sous le règne
de mon Beau Sire et j’eus même la douce satisfaction de voir qu’au détour d’un
couloir toute personne venant vers moi faisait « volte-fesses »,
évitant ainsi tout contact fâcheux avec moi.
    Le mois de janvier 1512 fut tellement froid que l’on vit la
Loire charrier des glaçons et les loups rôder aux abords des villes. On avait
beau garnir les cheminées de troncs d’arbre imposants, on arrivait à peine à
chauffer les pièces et c’est là que le blason d’Anne prit sa véritable valeur.
Tous se couvraient d’hermine et jamais l’on ne vit plus grande débauche de
fourrures et de manteaux.
    Un soir où je m’étais bien fatigué à tenter de réchauffer
l’atmosphère en distrayant la cour durant un banquet, la représentation
terminée, sachant que mon roi irait prendre chaleur auprès de son épouse dont
la froideur n’était qu’apparente, je délaissai les deux chiens qui, chaque
nuit, me tenaient lieu de chaufferette pour regagner ma chambre, escorté par un
garde

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