Le bouffon des rois
promettait
la couronne de France comme récompense de sa prochaine victoire sur nous. Alléché
par cette proposition, il avait décidé sans attendre d’envahir le nord de notre
royaume. Par où arriva-t-il ? Par la mer, évidemment, car il fut bien
obligé de traverser la Manche pour mettre le pied sur le sol français. Et la
France engagea le combat contre l’Angleterre dans les eaux d’Ouessant pour
empêcher à tout prix les Anglais de pénétrer dans la rade de Brest.
La Cordelière, énorme caraque ayant à son bord les
marins bretons les plus expérimentés et les chevaliers les plus braves escortés
de leurs meilleurs hommes d’armes, tous presque exclusivement de la maison de
la reine, sous le commandement d’Hervé de Portzmoguet (les marins l’appelaient
Primauguet), affronte le plus puissant des navires ennemis Le Régent. Portzmoguet
avait pour devise : « Faire face ! » Il n’y va pas manquer. La Cordelière, avec vent contraire, est seule au milieu de la flotte
anglaise et un combat inégal, qui méritera bien le titre d’homérique, s’engage.
Deux heures durant, c’est un chassé-croisé de boulets de vingt livres que
crachent les canons, mais la flotte saxonne est trop forte. Il va falloir
rompre. Mais rompre, c’est se mettre à la merci des Anglais et cela Primauguet
ne peut l’admettre. « À l’abordage ! » Son ordre a été entendu
malgré le vacarme effrayant des canonnades et, tous ses avirons sortis, La
Cordelière fonce sur Le Régent. Les grappins jaillissent collant les
deux vaisseaux l’un à l’autre, joue à joue, si bien que les deux ponts ne
forment plus qu’un unique champ de bataille laissant la place à un corps à
corps meurtrier. En quelques instants, les deux navires sont inondés de sang
mais les Anglais sont supérieurs en nombre et la défaite est inévitable. C’est
mal connaître Hervé de Portzmoguet qui n’entrevoit plus qu’une solution :
incendier son navire pour que les deux nefs coulent ensemble. Il hurle à son
second : « Aux poudres, l’ami ! » Ce sera son dernier
ordre. Le second s’est frayé un passage au travers des débris et des cadavres
pour atteindre la sainte-barbe où sont rangés les tonneaux de poudre non encore
utilisés. Il y met une mèche qu’il allume. Une explosion gigantesque soulève la
coque, la disloque et entraîne avec elle, au fond de l’océan, l’ennemi auquel
elle est agrippée. Les Anglais n’auront pas Brest. Tout le monde a péri par le
feu ou la noyade, sauf une vingtaine de survivants qui ont pu être repêchés.
Ils sont encore pris de tremblements quand on leur demande de nous conter le
récit de cette ineffaçable bataille maritime. Quant à moi, je ne résiste pas à
te chanter une chanson bien connue des marins qui résume parfaitement ce duel
naval :
Pendant que nous
faisons le guet
Parlons un peu
de Primauguet
Qui commandait
La Cordelière,
La frégate armée
à Morlaix
Pour faire la
chasse aux Anglais.
Le failli chien
nous vit venir,
Fit force de
voiles pour s’enfuir.
Hervé, le
gagnant de vitesse,
Dit : la
mer sera mon linceul !
Mais je n’y veux
pas coucher seul.
Et l’abordant
par son tribord
Il foutit la
flamme à son bord.
Mais un autre combat, plus agréable celui-là, est celui de
nos époux royaux qui avaient la couche nuptiale pour mener les assauts répétés
de leurs ébats lesquels portèrent leur fruit puisque la reine se trouva encore
grosse de Louis.
Je ne saurais te dire pour quelle raison, mais dès que le
douzième coup de minuit a sonné l’avènement du 1 er janvier de
l’année 1513, je savais que ce ne serait pas une année de bonheur et de joie.
Avant que se termine le mois, notre reine accoucha d’un fils mort-né. Elle ne
s’en remettra pas, ni moralement ni physiquement. La maladie allait aussi la
tourmenter jusqu’à son dernier soupir. En fervente et pieuse catholique, elle
pensait que le ciel la punissait des écarts religieux de son mari. Lui, abattu,
désespéré, le regard fixe, aura juste la force de murmurer dans un
souffle :
« J’espère que je ne serai pas le seul représentant sur
le trône de la branche des Valois-Orléans ! »
Un mois plus tard, la mort frappa une nouvelle fois mais,
pour Louis, ce fut plutôt une bonne nouvelle. Le pape Jules II
« rendait son âme au diable », selon la phrase prononcée par mon roi
en guise d’oraison funèbre.
Son successeur fut élu deux semaines plus
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