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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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chargé de ma protection rapprochée par ordre de Sa Majesté depuis
l’illustre soir de la bastonnade. Je fermai la porte au verrou et je me
débarrassai soudain de mes oripeaux, mes attributs de bouffon, cette seconde
peau qui me brûlait plus qu’elle ne m’habillait. Je l’arrachai et la jetai loin
de moi pour empêcher qu’elle ne me pénètre plus avant. C’était un des soirs où
je ne supportais plus ce que j’étais devenu. Faisant fi du froid glacial qui
traversait les épaisses murailles, rejetant les couvertures, je m’étendis nu
sur mon lit, en fermant les yeux, pour goûter ces rares moments de plaisir
total où je me trouvais non pas avec moi-même mais avec un corps nu que
j’imaginais sans défaut, et avec un esprit dénué de tout souvenir. J’avais
oublié tout ce qui m’entourait : plus personne contre qui lutter, plus
personne à qui plaire, plus personne pour me regarder, m’écouter, me juger. À
ces instants précis, je me demandais si la mort apportait cette même sensation
de vide, de paix, de sérénité.
    Je suis bien heureux de constater que ton regard hagard et
fixe ne me quitte pas depuis que j’ai retrouvé forme en poupée de chiffon mais
j’éviterai de répondre à la question qui te brûle la rétine :
    « Qu’y a-t-il après la mort ? »
    Je t’en ai déjà trop dit tout à l’heure en te parlant de
ceux que l’on peut croiser là-haut. Prends patience, je suis là pour te parler
de ma vie, alors laisse-moi mourir en temps voulu.
    Au milieu de cette atmosphère bizarre où froideur et ennui
s’entremêlaient, je tâchais de retrouver de ma joyeuse énergie pour tenter de
distraire mon roi et de déclencher quelques rires au milieu de la cour au grand
complet.
    La tâche devenait de plus en plus ardue, même si la moindre
petite perspective de gaieté était la bienvenue et pouvait, par miracle, détendre
l’atmosphère.
    À ce propos, je ne peux m’empêcher de te faire part d’une
anecdote qui, je pense, t’amusera, bien qu’elle ait failli tourner au drame.
Dès son retour de la bataille de Ravenne où il remporta une victoire éclatante
et toujours par souci d’économie, Louis décida de ne plus faire d’entrée
triomphale dans les villes de son royaume. Dans son château d’Amboise, il
recevait souvent bon nombre d’ambassadeurs qui avaient pour usage d’aller
visiter la reine en sortant de chez lui. Ils étaient introduits par Monsieur de
Grignaux qui, tout comme Florimond Robertet, était polyglotte. La reine, chaque
fois, lui demandait de lui apprendre quelques amabilités dans la langue des
ambassadeurs pour leur être agréable. Grignaux, malgré sa haute fonction, ne dédaignait
pas de faire des farces. Il faisait partie de ceux qui m’avaient pris en
sympathie et nous nous amusions souvent à imaginer quelques bons tours à jouer.
Un jour, une idée saugrenue a germé dans notre esprit : si, au lieu
d’apprendre à la reine les amabilités d’usage, nous lui apprenions des
grossièretés ? Nous nous en amusâmes fort et nous décidâmes de mettre
notre roi dans la confidence. Il rit de bon cœur avec nous et attendit avec
impatience l’audience pour entendre «  sa reine dire des petites salauderies » aux ambassadeurs. Au moment où l’on introduisit la délégation espagnole, je
remercie la bonne étoile qui m’inspira de conseiller au roi d’aller découvrir à
la reine notre joyeuse plaisanterie qui aurait pu amuser n’importe qui mais pas
Anne de Bretagne. Il fut de mon avis et lui découvrit le pot aux roses juste à
temps. Anne entra dans une de ses fameuses colères bretonnes, exigeant que l’on
chasse céans Monsieur de Grignaux. Louis la calma avec peine mais, dans son
entêtement rancunier de Bretonne, elle refusa de voir Monsieur de Grignaux
durant plus d’un mois pour finir par accepter enfin ses humbles excuses mais
elle lui garda méfiance et ressentiment. Dieu merci, mon roi avait jugé bon de
ne pas même prononcer mon patronyme, m’évitant ainsi d’être mêlé à cet incident
qui m’aurait coûté ma place, sinon ma tête.
    Que te conter d’autre que des histoires de guerre ?
J’en suis désolé mais c’était la préoccupation majeure qui était au cœur de
toutes les conversations. Comme si ce n’était pas assez des interminables
guerres d’Italie s’ajoutèrent celles que les Anglais ne manquèrent pas de nous
déclarer. Henry VIII s’était rapproché de Jules II qui lui

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