Le bûcher de Montségur
couvent des dépouilles des seigneurs hérétiques.
Nous aurons à revenir sur l’activité de saint Dominique pendant la croisade, et sur la fondation de l’ordre des Frères prêcheurs. Laissons-le dans ce Languedoc « infecté » par l’hérésie, où il poursuit sa mission d’autant plus difficile qu’il a pour adversaires des prédicateurs aussi ascétiques, aussi intrépides, aussi fermes dans leur foi qu’il l’est lui-même, et de plus connus et vénérés dans tout le pays. Il est à croire que les parfaits devaient, à son exemple, présenter sa foi et sa charité comme une tactique hypocrite, inspirée par le démon. Mais les campagnes d’évangélisation, si elles ne convertissaient guère d’hérétiques, servaient au moins à exciter le zèle d’une partie de la population catholique.
À Toulouse, depuis 1206, un homme prodigieusement actif et ardent était en train d’organiser, dans la ville même et les terres environnantes, un véritable mouvement de résistance catholique contre l’hérésie.
Foulques de Marseille, évêque de Toulouse, élu à la place du peu recommandable Raymond de Rabastens, aura, quatre-vingts ans après sa mort, le privilège glorieux de figurer dans le paradis de Dante sous l’aspect d’une âme pleine de liesse dont l’éclat, fulgurant comme celui du rire, frappe la vue tel un rubis exposé en plein soleil. Ce bienheureux est situé par le poète dans le ciel de Vénus, car il brûla d’amour plus que jamais ne fit Didon… « aussi longtemps que cela convint à la couleur de ses cheveux 50 . » Ce bourgeois de Marseille, né à Gênes, riche commerçant devenu troubadour par vocation, avait joui, comme poète, d’un renom considérable et avait chanté dans ses vers les grandes dames qu’il avait aimées. Parvenu à l’âge des cheveux gris il oublia l’ardeur de ses passions pour une piété plus ardente encore et en 1195 fit profession à l’abbaye du Thoronet ; dix ans après il est désigné pour l’épiscopat de Toulouse. Son zèle et son énergie sont connus de tous ; de plus, Provençal, il n’a pas d’attaches dans le pays toulousain et ne sera pas enclin aux complaisances ni aux compromis ; enfin, c’est un homme qui connaît le monde, un beau parleur, un écrivain réputé qui continue à enflammer son public par ses sirventès et ses chansons pieuses comme autrefois il le charmait par ses poèmes d’amour.
Arrivé en 1206 dans un évêché ruiné et pour ainsi dire inexistant, Foulques parviendra non seulement à payer les dettes, à rétablir l’ordre dans les affaires (il n’était pas pour rien issu d’une famille de marchands), il réussira à s’acquérir, dans sa ville, une réelle popularité personnelle, du moins parmi les catholiques. L’historien Guillaume de Puylaurens, qui fut notaire à l’évêché de Toulouse dès 1241, et fut de 1242 à 1247 chapelain des comtes de Toulouse, parle de l’évêque, mort depuis quarante ans au moins à l’époque où il rédige sa chronique, avec une vénération admirative : Foulques avait dû laisser un bon souvenir dans les milieux ecclésiastiques du Toulousain. (Il n’est que juste de rappeler cela, car ceux à qui il laissait un mauvais souvenir devaient être légion.)
En fait, l’inquiétante figure de l’évêque-troubadour qui, parvenu à l’âge de quatre-vingts ans, mourra en écrivant un cantique sur la venue de l’aurore céleste, inspire plus d’étonnement que de respect. Nous le verrons agir avec une énergie qui est plutôt celle d’un chef de parti extrémiste que celle d’un évêque. Guillaume de Puylaurens le loue d’apporter aux citoyens de Toulouse « non une mauvaise paix mais une bonne guerre ». Son éloquence de tribun incitait à une action réelle et concrète, et c’est à Foulques que revient le douteux honneur d’avoir été un des seuls à réussir dans la tentative de soulever les populations catholiques contre leurs frères hérétiques. Encore ne s’agit-il là que d’un assez petit nombre de militants fanatisés, et pour le peuple Foulques restera, comme le diront un jour les bourgeois de la Bessède, « l’évêque des diables ».
À part les légats et leurs missionnaires, à part les évêques de nouveau style et récemment intronisés, tels que Foulques de Marseille et Navarre, évêque de Couserans, à part les évêques du Comminges, de Cahors, d’Albi, de Béziers et plusieurs autres dont la fidélité à
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