Le calice des esprits
saint
Paul, le 25 janvier. Le courrier était porteur d'une missive au sceau de
Casales et de Rossaleti qui résumait ces nouvelles. Elles furent proclamées
dans toute la résidence royale et, une fois encore, par Marigny lors d'un
somptueux banquet organisé en hâte dans la salle des Fleurs de lys, au cœur du
palais.
Philippe et ses conseillers ne
cachaient pas leur joie. On ne lésina pas sur les dépenses. Des musiciens avec
rebecs, tambours et violes jouèrent des airs guillerets ; des jongleurs,
des acrobates, des bouffons et des fous divertirent la maisnie royale. Nous
nous régalâmes de succulente venaison et de la chair des poissons les plus
savoureux péchés dans les viviers du souverain, suivis par du bœuf et du porc nappés
d'une sauce au vin épaissie de viande de chapon ainsi que d'amandes, et
assaisonnée de clous de girofle et de sucre. Un ménestrel déguisé en ange
Gabriel entonna avec vigueur une chanson en l'honneur d'Isabelle.
Elle est là en habits de satin, Si
on la touche, Sa robe bruit, Ohé...
Elle est là dans sa robe dorée, Le
visage comme une rose et la bouche comme une fleur,
Ohé...
L'objet de toutes ces
réjouissances ne bronchait pas, teint d'ivoire et yeux bleus écarquillés.
Immobile, elle touchait à peine à son gobelet mais ses lèvres bougeaient sans
cesse. Quand le festin fut terminé et que les chiens favoris du souverain
eurent le droit d'entrer dans la pièce, Isabelle se retira en me faisant signe
de la suivre. Elle ordonna aux pages chargés des flambeaux de l'escorter
jusqu'à la petite chapelle où elle avait l'habitude de se rendre. Quand nous y
fûmes, elle les renvoya et me pria de fermer et de verrouiller la porte. Il
faisait un froid de loup, les braseros n'offrant plus qu'un tas de cendres.
Sans tenir compte de mes protestations, Isabelle quitta sa tunique et sa robe.
Vêtue de sa seule chemise, elle s'avança, déchaussée, vers le sanctuaire et se
prosterna à environ six pieds du jubé. Étendue sur les dalles glacées, elle se
mit à ramper comme une pénitente se traînant pour aller baiser la croix le
vendredi saint et se coucha sous le jubé, bras tendus, face contre terre. Je
voulus la couvrir de ma chape : elle la repoussa d'un mouvement d'épaule.
Je m'accroupis au pied d'un pilier. Le froid montait le long de mes jambes et
paralysait les muscles de mon dos. Les cloches du palais sonnèrent le passage
de l'heure, toutefois la princesse restait immobile, comme endormie. Elle finit
pourtant par se relever, se rhabilla, me sourit et me pinça la joue.
— Mathilde, j'ai rendu grâces
à Dieu de m'avoir délivrée de la Géhenne. Venez, à présent, me taquina-t-elle,
ce soir, nous prions, mais demain nous nous amuserons.
Casales, Rossaleti et les trois
autres envoyés anglais arrivèrent de bonne heure la veille de Noël. Ils apportaient
des cadeaux et des lettres de la part du roi d'Angleterre, le « beau
cousin » de Philippe. Isabelle eut pour instructions de les retrouver dans
la salle du conseil peu après l'Angélus. Pourtant Casales et Rossaleti, qui
n'avaient pas eu le temps de réparer le désordre de leur tenue après leur
retour hâtif, la rejoignirent d'abord dans sa chambre dans l'intention de
préciser le statut, le pouvoir et le but de ces trois autres émissaires. Ils
s'installèrent près de la cheminée et grommelèrent contre le temps glacial qui
les gelait jusqu'aux os avant de décrire les hommes que la princesse
rencontrerait. Sandewic était un vieux soldat, gardien de la Tour et juge des
sorties de geôle à Newgate, la plus infecte prison de Londres et le dernier
séjour de maints hors-la-loi.
— Il a pendu plus de félons
que je n'ai vidé de coupes de vin ! s'exclama Casales. C'était un ami
intime du feu roi. Il aime la Tour de Londres, cette sinistre forteresse, et
considère que c'est son fief personnel. Il entretient même sur ses biens la
petite chapelle, St Peter ad Vincula. Sandewic est dévoué corps et âme à la
Couronne ! Il a un jour appréhendé un collecteur de la taxe papale qui
avait déplu au vieux souverain ; il a pris l'argent du bonhomme et lui a
enjoint de quitter le royaume dans les trois jours sous peine d'être pendu aux
murailles de la Tour !
Isabelle fit mine d'être
terrifiée :
— Oh ! mon Dieu !
Sir John Baquelle est-il plus féroce encore ?
— Ah ! c'est un marchand
londonien, riche et puissant, un ami de Pourte. Un juge de la ville. Alors que
les bourgeois de la
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