Le calice des esprits
plus
revenir en arrière.
Il jeta un coup d'œil dans la nef.
— Je suis content d'avoir
occis Rossaleti. Il m'a entraîné, puis, comme le couard qu'il était, s'est mis
à éprouver des regrets, des scrupules.
Il cilla.
— Rossaleti pouvait se
retirer quand il voulait ; il était le seul à connaître la vérité ;
il devait périr. J'ai cru que je pourrais rebrousser chemin, mais...
Il fit une petite grimace et me
montra du doigt.
— J'aurais dû vous tuer, Mathilde,
vous êtes si dangereuse. Oh ! oui, j'ai découvert qui vous étiez en
réalité : la nièce de Deyncourt ! Je me souvenais de vous. Une
insignifiante jeunette ! ai-je dit à Philippe. Deyncourt n'était point
sot, et plus j'en apprenais sur vous, plus j'étais sûr que vous représentiez
une menace.
Il inspira bruyamment.
— Bon, je suis pris au piège.
Je l'admets. Je ne veux point faire les délices des badauds aux Elms, à
Smithfield, mais je n'avouerai pas, pas tout, pas par écrit.
Je désignai le cercueil de
Sandewic.
— Vous mourrez céans, Sir
John.
Je me levai, remplis le gobelet de
Sandewic de clairet et y ajoutai la dose d'aconit que l'apothicaire royal avait
apportée dans ma chambre la veille. Demontaigu s'était approché et placé près
de la bière, la corde de l'arbalète tendue. Je lui fis signe de s'éloigner et
posai le gobelet près de la chaire de Casales.
— Prenez, le pressai-je.
Buvez. Au moins la mort sera rapide.
— Et si je ne le fais
pas ?
— Demontaigu vous blessera,
retardant ainsi votre mort, et vous finirez aux Elms. Au fait, Casales, c'est
un prêtre templier. Il peut vous absoudre. Adieu !
Je descendis la nef. Demontaigu se
tenait sur le côté.
— Et s'il ne boit pas,
Mathilde ? murmura-t-il.
— Tuez-le !
Je sortis dans la faible clarté du
soleil. Les hommes d'Ap Ythel formaient un arc devant l'édifice. Je m'assis sur
un banc de bois et contemplai le Calice des Esprits de Sandewic. J'attendis
dans le froid jusqu'à ce que la porte s'ouvre, que Demontaigu sorte et me tende
le gobelet vide. Il me jeta un regard étrange.
— Il a bu. Il est mort.
— Que Dieu le garde !
répondis-je.
Cinq jours plus tard, je me
trouvais avec ma maîtresse dans la cour royale du palais de Westminster. Les
Français s'en allaient, mais, le temps étant mauvais, ils avaient renoncé à
descendre le fleuve et devaient se rendre à cheval à Queenhithe où mouillait
leur cogghe de guerre. Il y eut moult adieux et cadeaux, des serments d'amitié,
des baisers de paix et Isabelle fit même un discours. Marigny, qui n'avait
cessé de m'épier, poussa sa monture vers moi et se pencha, yeux verts brillant,
cheveux roux s'échappant de sous son chapeau de castor.
— Mathilde, chuchota-t-il en
profitant du vacarme dans la cour.
— Oui, messire ?
Il rapprocha encore un peu son
cheval et croisa les bras sur le pommeau de sa selle.
— Très perspicace,
remarqua-t-il. Nous vous avons sans nul doute sous-estimée.
— Messire, vous m'adressez le
même compliment que Sir John Casales !
— Casales est mort.
— C'est le jugement de Dieu
pour ses crimes.
Je montrai les bâtiments du palais
autour de nous.
— Monseigneur le roi a décidé
de convoquer un parlement pour traiter avec ses barons.
— Entre nous, Mathilde,
déclara Marigny en agitant ses doigts gantés, ce sera à outrance * !
Je battis des cils et fis un
semblant de révérence.
— Je ne voudrais pas qu'il en
fût autrement. Comme vous dites, à outrance, usque ad mortem .
— Je me redressai.
— À la mort !
NOTE DE L'AUTEUR
La médecine médiévale n'était pas
aussi limitée que certaines histoires populaires voudraient nous le faire
croire. Les femmes avaient un rôle important comme apothicaires et physiciens.
(Le personnage de Mathilde est basé sur une personne ayant vraiment existé,
Mathilde de Westminster.) La contribution des femmes à la médecine médiévale ne
fut sérieusement mise en question que lorsque le grand misogyne qu'était Henri
VIII édicta un Acte du parlement en 1519. Comme l'écrit Kate Campbell Hurd-Mead
dans son ouvrage Les femmes et la médecine , « au Moyen Âge, les
femmes médecins continuèrent à exercer au milieu des guerres et des épidémies
comme elles l'avaient toujours fait, pour la simple raison qu'on avait besoin
d'elles ».
Les événements décrits dans ce
roman reposent sur la politique de cette période. Il semble qu'Isabelle
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