Le calice des esprits
souffrir de nausées et de crampes. Il en
alla de même pour Isabelle. Ni elle ni moi n'ayant l'estomac fragile, je pensai
d'abord que cela pouvait être dû à la malveillance des princes, Louis et
Philippe. Ces deux coquins se plaisaient à jouer de méchants tours, par exemple
déposer un rat mort sur une chaire, laisser les crottes d'un des chiens du
palais sur le seuil de nos chambres ou bousculer un serviteur quand il nous
apportait de quoi nous restaurer. Ils avaient l'esprit borné de jouvenceaux
malintentionnés. Nos symptômes, accompagnés de fortes suées et de vomissements,
empirèrent le second jour. Pourtant, le matin du troisième, l'infection
commença à se calmer. Pelet eut moins de chance. Lui aussi fut accablé de
violentes crampes et sujet à de terribles frissons. Isabelle en personne, aidée
par un troupeau de médecins royaux, s'occupa de lui. Je voulus intervenir, mais
la princesse m'ordonna sans ménagement de me tenir à l'écart.
En définitive, ces habiles
physiciens ne furent d'aucun secours. Ils recommandèrent cataplasmes et potions
pour drainer le mal hors des humeurs, mais Pelet ne cessa de s'affaiblir. Il
finit par se pâmer et mourut sept jours après que la maladie se fut déclarée.
Entre-temps, je m'étais tout à fait remise. Je ne ressentais nulle pitié pour
Pelet, surtout quand il délirait au sujet d'ombres qui entouraient son lit. Il
revint à sa langue natale, la langue d'oc, implorant à grands cris le crucifix
de lui accorder la miséricorde divine. « Qui sème le vent récolte la
tempête », c'est du moins ce que les Évangiles aimeraient nous faire
croire. Pelet avait tué à maintes reprises. Dieu voulait juger son âme. Je ne
pouvais que regarder et observer les effets de l'arsenic suivre leur cours
naturel. Je trouvais cela très équitable. Après tout, oncle Réginald avec ses
manuscrits faisait tout autant autorité en matière de poisons et de potions
nocives que les Évangiles en matière de théologie. Un peu d'arsenic peut aider
l'estomac, mais en excès, une forte fièvre emporte la victime. C'était le
destin de Pelet. Je reconnus les symptômes, ce que ne firent pas les médecins.
Je conclus qu'Isabelle avait dû nous servir à toutes deux quelque chose qui
dérangerait nos humeurs, peut-être un peu d'orpin ou de poivre mêlé à un vinaigre
épais, pour que cela fasse illusion. Comme à leur habitude, les physiciens du
roi ne surent qu'agripper manuels et fioles d'urine, hocher la tête, grommeler
à propos des fièvres et des suettes de l'époque et nous congratuler, la
princesse et moi, sur notre miraculeuse guérison.
Isabelle joua les pleureuses. Elle
déposa les pièces sur les paupières de Pelet et alluma un lumignon devant le
jubé de la Sainte-Chapelle. Il se peut que Philippe et sa coterie aient eu des
soupçons, mais à cette époque l'arsenic était rare ; de plus, mes malaises
et ceux de la princesse indiquaient une infection soudaine à laquelle Pelet
n'avait pu résister. C'était un coup du sort ou pure malchance. Le subterfuge
d'Isabelle suffisait à donner le change. Elle ne m'en dit jamais mot et, quand
je tentai d'en parler, elle posa ses doigts sur mes lèvres.
— Il a rejoint Dieu,
Mathilde, chuchota-t-elle. Le sang innocent qu'il a versé est vengé.
Je ne pus trouver d'épitaphe plus
adéquate. Casales et Rossaleti étaient à ce moment-là partis pour l'Angleterre,
mais deux jours avant la Noël, le soir même où la dépouille de Pelet fut
emportée en ville pour être enterrée, un messager crotté des pieds à la tête
arriva en trombe dans la cour du palais. Les informations qu'il apportait
coururent bientôt dans toute la maison : les émissaires anglais
revenaient ! Sur la route de Boulogne, près de Montreuil, ils avaient
rencontré trois autres envoyés anglais, Sir Ralph Sandewic, gardien de la Tour
de Londres, Lord Walter Wenlock, abbé de Westminster, et Sir John Baquelle,
chevalier. Ces derniers avaient bravé la Manche glacée pour faire part de
nouvelles étonnantes. Édouard d'Angleterre avait accepté toutes les exigences
françaises. On pouvait donner suite aux projets de mariage de la princesse. Le
souverain anglais avait même choisi l'endroit : la cathédrale Notre-Dame,
à Boulogne, dans le comté de Ponthieu, une étroite bande en Normandie qui
appartenait encore à la Couronne anglaise. La cérémonie aurait lieu à la
nouvelle année, et, de toute façon, avant la fête de la conversion de
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