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Le calice des esprits

Le calice des esprits

Titel: Le calice des esprits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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heure de gloire avant d'être
criminellement envoyés dans la nuit éternelle.
    Je fermai les paupières puis les
rouvris pour regarder autour de moi l'austère chambre du père gardien avec ses
murs chaulés et son dur sol poussiéreux. Seuls des chandelles et un petit
poêlon de table parfumé d'encens repoussaient le froid et la puanteur de la
mort. J'examinai le blême visage pointu, les yeux mi-clos et les lèvres
entrouvertes. Le père gardien m'avait dit avoir prié pour moi. Même lorsqu'il
se penchait sur le calice pour murmurer les mots de la consécration ou qu'il
transformait le pain en corps sacré du Christ, il demandait toujours la même
chose : qu'un jour, agenouillée devant lui, je me confesse et fasse la
paix avec Dieu afin que mon âme soit prête pour son long voyage avant de
rejoindre les autres. Le père gardien prenait mes mains entre ses doigts froids
et osseux, en pinçait la peau avec douceur, et me jetait un regard compatissant
de ses larmoyants yeux bruns.
    — Mathilde, je sens que votre
âme ploie sous le poids du péché. Votre esprit, vos souvenirs, vos rêves en
sont hantés ; un mal infect les empuantit.
    Il était perspicace et plein de
finesse, le père gardien, l'un des rares hommes que j'aie jamais rencontrés
capables de lire dans l'esprit d'autrui. Bien entendu, j'hésitais. Je lui
répondais que je garderais mes secrets et plaiderais ma cause devant le
tribunal de Dieu comme l'aurait fait n'importe quel criminel devant le Banc du
roi [1] à Westminster. Le prieur se
contentait de soupirer et me lâchait la main.
    L'été précédent, vers la
Saint-Jean-Baptiste, j'avais commencé à réfléchir. J'avais l'impression d'avoir
l'estomac plein de vin aigre. Je voulais vomir, me purger, débarrasser mon âme
du mal, aussi étais-je allée la voir, elle, Isabelle, reine d'Angleterre, là où
elle gisait sous sa pierre tombale, à droite du maître-autel dans le couvent
des franciscains. Oui, c'est là qu'elle avait demandé à être enterrée, non dans
un linceul mais vêtue de sa robe de mariée, bien qu'elle eût largement dépassé
la soixantaine. Tandis qu'elle agonisait, crachant son sang, Isabelle avait
voulu tenir ma main, m'implorant des yeux.
    — Mathilde, [2]  !
    En dépit de ses joues caves et de
ses cheveux gris, je discernais encore des restes de sa splendide beauté
d'antan.
    — Enterrez-moi, avait-elle
chuchoté, dans ma robe de mariée, le cœur de mon époux serré entre mes mains,
mais près de Mortimer, comme une fiancée aux côtés de son amant !
Promettez-le-moi.
    J'avais tenu parole. J'avais
demandé une entrevue à son fils, Édouard aux yeux d'aigle, le Grand Conquérant,
seigneur d'Angleterre, d'Irlande, d'Écosse, de France et de toute autre terre
dont il pouvait s'emparer. Je m'étais agenouillée devant lui dans la Chambre de
Jérusalem, à l'abbaye de Westminster. J'avais énoncé à voix basse les dernières
volontés de sa mère. Bien entendu, le roi m'avait insultée, m'avait frappée sur
les épaules, mais il avait fini par accepter. Il avait ordonné à ses shérifs,
maréchaux, baillis et huissiers de dégager la grand-route de Mile End, autour
de la Tour, afin que le corps de sa mère puisse, en grand apparat, au son des
trompettes, des fifres et des tambours, au milieu de bouffées d'encens, après
une messe solennelle de requiem, être inhumé sous les dalles du couvent des
franciscains.
    Plus tard, des mois après le
trépas de sa mère, le roi avait envoyé des tailleurs de pierre et des
charpentiers ériger un somptueux tombeau pour sa « mère bien-aimée ».
On peut l'admirer avec ses léopards rampants dorés et ses fleurs de lys
d'argent, ses couronnes et ses diadèmes, ses inscriptions pieuses, toute la
beauté macabre de la tombe. C'était, de la part d'Édouard, un geste de
réparation. Isabelle ne lui avait jamais pardonné — surtout pas ce
qu'il avait fait à son « gentil Mortimer » —, et c'était là la
raison de ma présence au couvent. Je venais m'occuper de son tombeau. Le roi,
lèvres écumantes retroussées comme les babines d'un chien menaçant, me l'avait
ordonné ici même en tempêtant :
    — Vous l'accompagniez dans la
vie ! avait-il hurlé. Restez donc avec elle dans la mort !
    J'avais rejoint l'ordre mendiant
de saint François, les franciscains, et obtenu l'autorisation de l'évêque de
Londres de vivre en ermite dans une cellule sur les lieux. Seul le père gardien
savait depuis le début

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