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Le calice des esprits

Le calice des esprits

Titel: Le calice des esprits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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louaient les femmes
plus que ne le faisaient les autres hommes. Oncle Réginald était fort influencé
par les fidèles de saint François, surtout le Libérien Antoine de Padoue, qui
exaltait notre sexe et ne nous calomniait pas.
    Oncle Réginald dirigeait les
hôpitaux du Temple à Paris. C'est là que débuta mon éducation.
    — Tu veux boire à la fontaine
du savoir, tonnait-il, eh bien, crois-moi, tu y boiras !
    Mes études étaient très sévères.
Oncle Réginald me faisait traduire un passage en latin en langue vulgaire, puis
en français de la Cour avant de le retraduire en latin. Après m'avoir remis une
liste d'herbes, avec leurs noms, leurs pouvoirs et effets, il me la reprenait
et m'interrogeait sans indulgence. Je lui dois le don des langues et la
capacité, par imitation, de m'exprimer correctement. Et, par-dessus tout, la
médecine. Je devins son apprentie, le suivant d'hôpital en hôpital, d'une
chambre de malade à une autre. Je respectais ses principes : regarder,
surveiller, examiner, mémoriser et réciter.
    — Mathilde, nous, les
médecins, ne pouvons guérir ; nous ne pouvons qu'essayer de prévenir et
proposer quelque soulagement. Souviens-toi de ce que tu vois. Observe, observe
encore, étudie avec zèle, définis le problème et propose, si tu le peux, une
solution, me conseillait-il en agitant le doigt et en me regardant de ses yeux
perçants sous ses sourcils froncés.
    Oncle Réginald émettait des
réserves sur les opinions de ses collègues. Il attaquait avec fureur la Science
de la chirurgie de Lanfranc de Milan et raillait sans se cacher les
médecins obsédés par l'urine, les matières fécales et la purge. Il appréciait
les commentateurs arabes Averroès et Avicenne, s'intéressait beaucoup à Galien,
et, surtout, aux écrits de Bernard de Gordon de Montpellier, ne jurant que par
son Lilium medicine . Le battement du sang au poignet ou au cou, l'odeur
de ses patients, leurs yeux, leur langue et la texture de leur peau le
fascinaient.
    — Observe, aboyait-il,
examine, puis réfléchis !
    Il était pessimiste quant à son
efficacité et toujours abattu quand il sentait des tumeurs ou des grosseurs
dans le corps. Pourtant, il était expert en herbes et potions, et affirmait que
c'était un des champs du savoir où il était capable à la fois de semer et de
moissonner. J'acquis moi aussi une grande compétence dans ce domaine :
mélange et vertus des différentes plantes, dosage à administrer et résultats
attendus.
    — Nous devons être humbles,
prétendait oncle Réginald, et reconnaître nos limites. Les herbes sont nos
armes, les flèches de notre carquois, la seule chose que nous pouvons
maîtriser ; cela, et les règles de la propreté. Mathilde, m'enseignait-il
en faisant les cent pas dans une chambre, j'ignore la cause de l'infection,
mais nous sommes entourés par ses conséquences. Alors lave-toi les mains,
nettoie la blessure, applique un cataplasme propre et n'oublie jamais que la
crasse et la mort marchent main dans la main.
    Pendant huit ans ce fut mon être,
mon âme même, ma vie depuis sa première floraison jusqu'à la pleine maturité,
que je trotte à ses côtés devant une rangée de lits ou que je sois dépêchée
comme un héraut dans la cité pour faire telle ou telle emplette. D'autres
jeunes femmes se mariaient mais oncle Réginald était mon destin. Oncle
Réginald ! Que Dieu l'ait en sa sainte garde, Dieu qui sait bien que j'ai
passé le plus clair de mon existence, en tout cas en ce qui concernait la
médecine, à lui obéir.
    Ma vie, du moins celle avec oncle
Réginald, s'acheva comme je l'ai dit, le jeudi 12 octobre 1307, quand Philippe
de France, Philippe « le Bel » aux limpides yeux bleus et aux cheveux
d'argent, frappa comme un faucon et détruisit le Temple. Mon oncle et moi nous
étions rendus dans une ferme de l'ordre tout près de Paris. Dans les champs qui
l'entouraient les herbes poussaient à profusion. Nous étions revenus à
l'improviste en ville. Oncle Réginald décida de descendre dans une petite
taverne proche de la porte Saint-Denis. De la cour pavée je pouvais apercevoir
le sinistre gibet de Montfaucon et les toits aux tuiles rouges du couvent des
Filles de Dieu, les bonnes sœurs qui donnaient toujours aux criminels condamnés
une dernière coupe de vin quand on les poussait jusqu'à la grande potence
dominant la profonde fosse. En ce jour maudit, mon oncle se comportait comme un
de ces misérables. Troublé et

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