Le calice des esprits
péchés
sont rouge écarlate, je les rendrai blancs comme neige. » Eh bien, mon
père, mes fautes sont nombreuses et de l'écarlate le plus vif, semblable au
ciel par un soir d'été ou aux bannières rouges de la guerre. Je me suis plongée
dans l'infamie, mon père. Je suis la Dame de l'Enfer. J'ai vécu dans l'ombre
d'Isabelle la Belle, la Jézabel, la Louve, la femme à la poigne de fer.
— Il faut vous préparer à
recevoir le sacrement ; examinez votre conscience, dit-il. Soyez honnête
avec vous-même et vous serez honnête envers Dieu.
Mais j'avais à présent repris mes
esprits. Je me rendis compte de ce que j'avais raconté : ce vieillard,
assis sur une pierre froide près d'une fontaine, en avait appris davantage en
ces quelques inestimables moments qu'Édouard, le roi, en saurait jamais. Oh,
bien d'autres ont essayé. On m'a offert de l'argent, des terres, des manoirs,
et même le mariage avec un jouvenceau pupille du roi. J'ai toujours refusé.
J'ai rencontré le grand amour de ma vie. Qui plus est, j'avais juré le secret à
Isabelle mais, toute réflexion faite, j'estime que ce serment est maintenant
caduc ; je suis délivrée de mon devoir. Ce jour-là, près de la fontaine,
traînant les pieds, je présentai mes excuses pour m'être emportée. Je promis au
père gardien que, dès le début de l'Avent, je m'agenouillerais dans le
confessionnal pour exposer tous mes péchés. Je plaisantai en remarquant que
cela prendrait du temps. Le père gardien me jeta un coup d'œil circonspect et
hocha la tête.
— Sœur Mathilde, l'honnêteté
ne prend pas des chemins de traverse. Avouez qui vous êtes plutôt que ce que
vous avez fait.
Les semaines suivantes, je méditai
souvent ses mots. Plus je fouillais mon âme, plus je me rendais compte qu'il
n'avait pas dit toute la vérité. Pour comprendre ce que j'avais fait, pour
saisir qui j'étais vraiment, ou qui je suis, il m'aurait fallu décrire
Isabelle : la princesse de quelque roman d'Arthur qui était arrivée en
Angleterre à treize ans pour épouser Édouard de Caernarvon et unir l'Angleterre
et la France dans une alliance de paix qui serait éternelle. Oh ! comme
les princes sont fous ! Le père gardien m'avait autorisée à me servir du
scriptorium et de la bibliothèque. Je commençai à écrire en un code que moi
seule pouvais déchiffrer et qui me venait de l'époque où j'étais physicienne.
Les semaines devinrent des mois. L'été passa ; l'automne arriva dans sa
splendide profusion. Les allées et les jardins du couvent se tapissèrent de
feuilles luisantes comme du cuivre avant que les pluies ne les transforment en
un amas bourbeux que je devais enlever, mettre en tas, faire sécher et brûler.
Je promis au père gardien qu'à l'Avent et une fois l'église nettoyée pour
accueillir l'Enfant Roi, je me confesserais.
Mais le Seigneur Satan ne m'avait
pas oubliée. Le jour de la Saint-Luc, soudain la mort, à la façon d'un voleur
dans la nuit, emporta le père gardien. On le trouva dans son lit, couché un peu
de côté, bouche bée, yeux vitreux, ayant depuis longtemps rendu son âme à Dieu.
Je demandai au responsable du scriptorium, le frère Bruno, un homme affable et
érudit au dos voûté et à la mine effarée de moineau, si je pouvais présenter un
dernier hommage au défunt. Il accepta. Je me mis donc à genoux devant la
dépouille du père gardien, me signai et bafouillai une prière apprise dans mon
enfance, puis je fermai les yeux. J'avais fait une promesse, un vœu, au père
gardien : je me confesserais en effet, mais ni à un prêtre inconnu, ni à
l'un des frères, qui ne pourrait que reculer d'horreur. Le père gardien était
peut-être derrière le voile de la vie et me prêterait l'oreille.
Ce jour-là, après avoir veillé le
cadavre, je me levai et remarquai un morceau de parchemin posé sur le pupitre
de l'alcôve où le père gardien avait l'habitude de s'asseoir pour méditer sur
quelque livre d'heures. J'écoutai avec attention. Les frères lais de garde,
dehors, bavardaient entre eux. Je m'avançai sans bruit vers la table de travail
et pris le vélin. Je reconnus tout de suite un extrait de la Consolation de
la Philosophie de Boèce : « C'est dans la régularité de mon jeu
que réside ma force, déclare la Fortune. Je fais tourner ma roue. Je me plais à
hisser les humbles au sommet et à faire descendre les grands jusqu'en bas.
Portez-moi au sommet si vous voulez, mais à la seule condition que
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