Le camp des femmes
block :
— Suffit !
— Vous allez vous taire !
— Si elle veut fumer, qu’elle fume !
Mais Brice Martinez, le chat botté – elle mesure 1,41 m, chausse du 36 et a reçu une paire de vieilles bottes taille 43 – a décidé de sauver Pilouka. Elle insiste :
— Écoute petite, c’est facile à comprendre, j’en connais des dizaines qui, comme toi, avaient choisi de fumer. Aujourd’hui, elles sont mortes. Nous ne recevons ici qu’une ration de misère, à peine de quoi survivre et encore…
— Pilouka (xlv) avait une assez jolie voix et elle aimait nous distraire en chantant pendant les pauses. Je l’avais surnommée « petit diable noir » car je crois n’avoir jamais rencontré des yeux et des cheveux aussi sombres. Éclatants. Elle dormait à l’étage supérieur du châlit, juste au-dessus de moi. J’avais dû la surprendre au moins dix fois à échanger son pain contre des cigarettes. C’était à moi de la défendre. À force de patience, de ténacité, Pilouka a cessé de fumer. Ce n’était pas facile. J’étais un vrai gendarme. Mais j’ai réussi et Pilouka est rentrée chez elle. En 1945, sa maman a voulu que je vienne les voir… Je suis restée deux jours. Quel bonheur de revoir Pilouka.
Je ne sais pas si Pilouka connaît le poème que Brice Martinez écrivit sur un morceau de papier d’emballage, le soir où elle comprit qu’elle avait gagné : que désormais « diable noir » mangerait son pain.
Vivre en soi n’est rien
Il faut vivre en autrui
À qui puis-je être utile, agréable, aujourd’hui ?
Voilà chaque matin ce qu’il faut se dire
Et le soir quand des cieux la clarté se relève
Heureux à qui son cœur, tout bas a répondu
Grâce à mes soins j’ai vu sur une face humaine
La trace d’un plaisir ou l’oubli d’une peine.
Ce jour-là je ne l’ai pas perdu.
LA VERMINE
Toute (xlvi) mesure d’hygiène semble proscrite de notre block. Chez nous, il n’est pas question de passer aux douches ou de donner des vêtements à l’étuve, comme cela se fait dans d’autres baraquements.
La vermine ne tarde pas à nous envahir et se propage à une vitesse foudroyante. Nos compagnes étrangères forment certainement la plèbe des autres pays ; bien rares sont celles qui s’épouillent et, encore, lorsqu’elles se livrent à cette occupation, au dortoir ou au réfectoire, jettent-elles par terre, avec dégoût, les poux vivants qu’elles ôtent de leurs vêtements.
Très peu ont acheté du linge de rechange. Au Waschraum, pièce préposée à la toilette, et dont, sur dix lavabos, trois au moins sont bouchés, les vêtements sont empilés les uns sur les autres.
Presque toutes ont eu leur serviette de toilette volée ; certaines en ont confectionné une en coupant un morceau de leur chemise, mais beaucoup se lavent avec leurs mains, et le morceau de savon donné à l’arrivée est depuis longtemps épuisé ; quelques-unes se sont privées de pain pour en acheter un autre, mais la grande majorité s’en passe.
Et, tandis que les unes se lavent, d’autres s’épouillent ; certaines y mangent.
Dans cette pièce où une foule se bouscule et se dispute, d’aspect innommable par les habits sales entassés, les corps nus, décharnés, marqués de piqûres de poux et de plaies d’avitaminose, gisent les mortes du block, sans cesse éclaboussées d’eau sale, en attendant leur transfert à la morgue.
La toilette est interrompue par les filles de salle qui réclament l’évacuation de la pièce. En hâte, les vêtements sont rassemblés, car les traînardes sont chassées à grand renfort de seaux d’eau.
Et lorsque le Waschraum, évacué, présente un aspect bien net, la Blockowa, munie d’une marmite d’eau bien chaude et d’un superbe savon, entre tranquillement et ferme la porte pour faire ses ablutions en paix.
Ah ! cette vermine (xlvii) , jamais je ne m’y ferai, ça grouille de partout. J’ai des poux mais ça, c’est pas une nouveauté, seulement ils sont énormes comme des grains de blé : vrai ! et quand ils courent le long de mon corps, ça fait un drôle d’effet, en plus du « plaisir » d’être chatouillée à longueur de journée, on se secoue, on se tortille tellement qu’on croirait à nous voir qu’on est atteintes de la danse de Saint-Guy ! Les puces, elles, si elles piquent, sont quand même plus discrètes. Les punaises nous empestent à longueur de journée et on est tellement fatiguées de
Weitere Kostenlose Bücher