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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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nous précipitions avec nos gamelles et nous nous gorgions de soupe jusqu’à satiété.
    Faim envahissante, faim avilissante, faim qui abêtit : les femmes ne parlaient plus que de menus et trompaient leurs affres en copiant des recettes de cuisine. Je fis serment de ne jamais me laisser aller à en copier et tins bon jusqu’au bout. J’essayais en vain de penser à autre chose ; l’idée de la faim revenait sans cesse.
    Nous (xxxvii) attendons le pain. Il est tard ; la soupe de midi était très claire et, à notre consternation à toutes, la Blockowa vient d’annoncer qu’il ne serait peut-être pas distribué ce soir.
    Près de nous, sur la même travée, Andrée soigne de son mieux une amie très malade ; celle-ci ne mange presque plus et Andrée m’interpelle pour me demander s’il me serait possible de lui procurer une tasse de lait.
    À contrecœur, je descends de mon lit. Je ne connais pas cette femme et se rendre au bout du dortoir où couchent les peintres (xxxviii) est une véritable expédition.
    Toutefois, munie du pain et du quart vide, je me décide à me mettre en route.
    Comme je l’avais prévu, le couloir est encombré. Continuellement bousculée, j’ai mille peines à atteindre mon but.
    Une femme fait son lit. Afin d’être plus à son aise, elle a déposé toutes ses affaires dans l’allée ; elle ne les retire qu’après bien des discussions et me laisse passer.
    Enfin, le coin des peintres !… Je grimpe au troisième où elles logent ; elles ont encore ce que je désire. Je donne le pain et mon quart rempli de lait m’est rendu.
    Mais quand je vois en ma possession le beau liquide blanc, une tentation m’envahit… J’ai si faim ! Si j’en buvais seulement une gorgée il me semble que je me sentirais mieux et personne ne s’en apercevrait.
    Au surplus, je me suis dérangée pour une inconnue et, ordinairement, toutes celles qui consentent à servir d’intermédiaires prennent une petite commission.
    Boirai-je,… ou ne boirai-je pas ?
    J’hésite encore ; pour être en règle avec ma conscience, je prend enfin une décision : si le passage est libre, je n’y toucherai pas, mais s’il est encombré, j’en prendrai une toute petite gorgée.
    J’ai toutes les chances pour moi, car, au dortoir, il y a toujours une circulation intense. Je n’ai plus qu’une idée fixe : le lait…, il me semble déjà en sentir le goût. Avec précaution, je descends à terre et me retourne…
    Le passage est libre jusqu’au réfectoire. Je porte, intact, le quart à la malade.
    — … J’ai faim (xxxix) . C’est le leitmotiv, la conversation ne gravite qu’autour de la soupe. Les espoirs de la prisonnière sont limités à la cuillerée de marmelade et au remplissage de la cuiller lors de la distribution du samedi. Puis elle décrit l’abondance et la variété des colis de nourriture reçus par d’autres prisonnières. Elle est toujours revendicatrice ; elle se plaint d’avoir la plus petite ration de pain, etc. Tout le reste de la conversation est à l’avenant.
    Comme chez les garçonnets de 8 à 14 ans, le troc règne. C’est une véritable manie, qui pour certaines atteint presque au scandale. La monnaie d’échange est la ration de pain du jour. C’est un véritable étalon-portion. Les femmes prisonnières d’Europe orientale sont des expertes en ces marchés. Chez les Françaises, nous n’estimions point nos camarades qui se livraient au troc. Le fait que la monnaie d’échange des marchés était la ration de pain nous répugnait. La transaction : vente, surtout, nous semblait antisociale et inhumaine, puisqu’elle consistait à recevoir d’une compagne son pain. Par contre, nous étions souvent obligées d’« acheter » avec notre pain. Cette opération nous paraissait moins immorale que l’autre, puisque c’était nous-même qui nous privions (xl) .
    Dans certains blocks où l’on distribuait des colis de nourriture, les femmes échangeaient leur pain contre une sardine, laquelle se transformait en trois morceaux de sucre, lesquels étaient échangés contre autre chose et finalement le pain se transformait en un foulard que certaine trouvait élégant.
    Les fumeuses échangeaient leur pain contre du tabac et quelle horreur de tabac ! celui qui était trouvé dans les poches des vêtements des cadavres des fronts et que les ukrainiennes spécialisées dans ce genre de retournage de poches rapportaient au camp. Quelques fumeuses

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