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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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matins en allant travailler, tandis que le chant des Allemands des premiers rangs entraîne la colonne au pas cadencé, nous élaborons « le menu que nous offririons à nos maris si nous étions chez nous ». Il y a toujours une profusion de viandes, ces menus rappellent ceux de la cour du Roi-Soleil. Mes camarades masculins m’ont avoué avoir eu la même magiromanie. Au camp de rassemblement de Göteborg en Suède, un avocat de Paris, à qui j’avais posé la question : Étiez-vous, vous aussi, intéressé aux recettes de cuisine ? m’a répondu : « nous en parlions constamment ! » Il m’a alors cité ce qui lui était arrivé : se promenant avec un autre déporté, ancien colonel de cavalerie, ils s’étaient, plusieurs heures durant, répété la recette de la bûche de Noël, avec un grand sérieux et gravement le colonel lui disait : « Redites-la moi encore, vous dites bien qu’il faut battre le sucre avec les œufs, etc. »
    Pour moi, je me souviens avoir donné plusieurs recettes de pâtés, de manières d’accommoder le gibier et de quelques pâtisseries. J’ai gardé aussi dans ma mémoire certaine recette de soufflé au Grand-Marnier qui m’avait vivement impressionnée. Quoique je doive le reconnaître, en général, la quantité des ingrédients employés paraissait être bien supérieure aux besoins réels du mets.
    — Dans (xli) notre block, il y avait une petite fille (dix ans environ), toute mignonne, toute blonde.
    Comme nous elle assistait aux appels… et les soupes infectes ! Elle disait : « Quand je serai grande, je veux être épicière pour manger beaucoup de sucre. » Qu’est-elle devenue dans cette folie homicide ?
    Le 29 octobre 1942, Heinrich Müller, chef du Service IV de la Gestapo, Richard Glücks, chef du groupe des Services, recevaient la lettre suivante signée Heinrich Himmler :
    — 1°) J’autorise (xlii) à dater de ce jour les prisonniers à recevoir des colis de vivres de leur famille ;
    — 2°) Le nombre de colis que chaque prisonnier peut recevoir n’est pas limité. Mais le contenu devra être consommé le jour de la réception ou le lendemain. Dans le cas où cela ne sera pas possible, le partage sera effectué avec les autres prisonniers.
    — 3°) Cette ordonnance ne s’applique pas seulement aux prisonniers allemands, mais à tous les autres qui auraient la possibilité de se faire envoyer des colis.
    — 4°) Tout membre de la S.S. qui s’approprierait un colis destiné à un prisonnier sera puni de mort.
    — 5°) Tout prisonnier mésusant de la présente autorisation pour se faire envoyer des messages, des outils ou autre objet prohibé sera immédiatement puni de mort. Sa baraque ne pourra plus recevoir de colis pendant trois mois.
    *
    * *
    — Voyons Madame Audibert (xliii) , il ne faut pas donner votre pain, tous les jours, à Mimi. Vous devez manger.
    La générale Audibert sourit à M me  Barreaud :
    — Mimi n’a que dix-huit ans et moi soixante-dix. Elle en a plus besoin que moi.
    — Mais ce que nous recevons est vraiment le minimum.
    — Je sais. Je sais.
    La générale Audibert est morte de faim à Ravensbrück.
    — Nous (xliv) étions un petit groupe : Simone, Suzanne, Annick (les Bretonnes), Michou, une petite du Nord et moi. Notre pauvre Michou n’avait que dix-huit ans ; fragile comme un roseau, elle ne pouvait avaler notre « succulente » soupe aux rutabagas, aussi nous cherchions pour elle les quelques débris de pommes de terre qui nageaient dans notre gamelle. Un jour nous avions touché une cuillère à dessert de marmelade, Simone m’a demandé si je voulais la donner pour Michou ainsi qu’un peu de pain, ce que je fis de bon cœur. Le lendemain, après l’usine, nous nous regroupons comme à l’habitude sur la paillasse de l’une d’entre nous et jugez de mon émotion lorsque je vis dans la « schüssel » (gamelle) de Suzanne un gâteau – mon gâteau d’anniversaire – car si j’avais oublié mes vingt ans, les camarades elles, n’avaient pas oublié. Pain trempé dans du « café », nappé de confiture. Ce fut un délice arrosé de larmes de joie, d’émoi. Ce que je ressens encore aujourd’hui au souvenir de ce jour exceptionnel est indescriptible.
    — Tu dois manger ! Mange ton pain.
    Pilouka, la jeune Espagnole – une enfant de quinze ans – grogne :
    — Non ! Je vais échanger ce pain contre deux cigarettes.
    Le reste du

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