Le camp des femmes
les écraser qu’on les laisse courir partout. Et les rats donc ! de gros gaspards qui sont tellement hardis qu’ils nous fauchent nos croûtons de pain si on a le malheur de les oublier. À chaque fois c’est la bagarre à coup de galoches, mais ces saletés-là sont sans peur, ils attaquent dur. La preuve, hier, une fille a été mordue au bras. Moi, ça va, je n’ai pas peur des souris, ni des rats, c’est pour les araignées que j’ai une véritable répulsion. Ici je n’en ai pas encore vu. Et j’oublie les morpions, ces charmantes petites bestioles qui vous collent des démangeaisons atroces. Quand je pense qu’il y a un fada qui a dit que Dieu avait décidé de l’utilité de chaque être vivant sur terre. C’est pas vrai d’entendre ça !
Noir, avec une tache blanche au-dessous de l’œil droit. Il a ses habitudes, ses amies. Comment s’imaginer qu’il soit si maigre alors qu’il traîne dans toutes les poubelles des cuisines ? Peut-être parce que les poubelles sont maigres et que quelques « sauvages » lui disputent rognures et épluchures. Il a dix noms, peut-être cent. Il est le chat des Françaises, des Polonaises, des Allemandes, des Russes…
— Pour moi (xlviii) et les Polonaises, il est « Pubi ». Une miette et il ronronne. De loin. Aucune de nous ne peut le caresser. Deux sœurs se sont jurées de l’attraper et de l’accommoder en civet. Elles ont déjà échangé plusieurs quignons contre deux oignons et sept clous de girofle, mais « Pubi » flaire le danger, tous les dangers. Helena, la jeune mercière de Cracovie, jour après jour, l’apprivoise. « Pubi » se laisse prendre à la mélodie de sa voix. Pour récompenser Helena, chaque matin, « Pubi » dépose au pied de son lit un magnifique rat encore chaud. Malgré ma faim, et les longs discours sur les recettes de mets chinois, je n’ai jamais goûté aux cadeaux de « Pubi ». Les deux sœurs ont mangé leurs oignons avec le troisième rat. Elles ont échangé les clous de girofle : « Voyons ! On ne va pas tuer la poule aux œufs d’or. »
« Pubi », un soir, change de block :
— Au 15 (xlix) , avec ma mère et ma sœur, je donnais à manger à un chat affamé lui aussi. Chaque jour il déposait au pied de notre lit un rat qu’il avait tué la nuit.
*
* *
FOUILLES
— Achtung (l) !
L’ordre a éclaté brusquement. C’est l’Aufseherin. Mais aujourd’hui, elle a imaginé autre chose ; elle fouille. Devant elle, il faut vider les sacs. Sans pitié, elle saccage les objets acquis au prix de mille peines. Prestement, nous jetons sous les tables ceux auxquels nous tenons le plus.
Enfin elle se décide à partir. Heureusement, nous rassemblons quelques petites choses épargnées.
Dix minutes environ se passent.
« Achtung ! » Elle revient. La fouille recommence. Tranquillisées par son départ, nous avions remis dans nos sacs ce que nous avions pu sauver l’instant d’avant.
Mais les objets épargnés tout à l’heure disparaissent ; elle empoche ceux qui lui semblent avoir quelque valeur.
Pendant plus d’une heure, le jeu continue. Elle se retire, revient et recommence. Nous nous sentons fatiguées, déprimées.
« Achtung ! » La voici à nouveau ; elle rit.
Un S.S. passe à bicyclette dans l’allée. D’un coup d’œil, il voit la scène, l’expression traquée des femmes. Il ne peut résister.
« Achtung ! » La voix gutturale nous fait tressaillir. Lâchant sa machine, il a sauté à pieds joints sur la table proche de la fenêtre et, immense, nous regarde cruellement.
Celles qui ne l’ont pas vu venir sursautent nerveusement.
Encouragée par sa présence, « Gracieuse » fouille avec plus d’acharnement encore. Elle découvre une petite médaille que j’avais conservée, la jette à terre et la piétine.
Tout à l’heure, elle m’a volé le petit poudrier que maman m’avait donné pour ma fête ; précieux souvenir que j’avais eu tant de mal à passer.
Enfin, elle se décide à repartir en compagnie du S.S. Tous les deux rient.
Après leur départ, nous réunissons nos affaires. L’inventaire est vite fait : il ne nous reste presque plus rien : fil, aiguilles, savon, linge de rechange, tout a disparu.
Désolées, nous contemplons nos petits sacs confectionnés dans un bout de chemise et qui paraissent encore plus misérables depuis qu’ils sont si plats !
Dans un coin, la mère Guéguen, détendue, rit toute seule. Tout le
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