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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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la trahison du centre catholique, pour continuer à lutter contre le nazisme, elle s’est inscrite au parti communiste. Puis elle a connu dix ans de prison et de bagne. « Les nazis ne pouvaient rien imaginer de pire, me dit Maria, que de me séparer du monde et des hommes. Deux ans de secret sans un visage humain, sans un livre. Mais moi qu’ils ont cru retrancher des vivants, j’ai eu ici ma revanche. » Et elle me montre de la main les vieilles Russes aux yeux clairs. « Des femmes arrivent chaque jour en longs convois dans ce camp. Elles viennent de toute l’Europe avec leurs baluchons serrés, ou leurs valises. Et vous, maintenant, vous allez me parler de la France. »
    Accotée à la paroi de planche, Maria ferme les yeux. Entend-elle au-delà des murailles la rumeur des peuples qui se délivrent ?
    J’évoque notre refus de servitude en juin 1940, notre combat pour la liberté. Maria m’écoute avidement, et elle m’interroge. Après la lutte, elle prévoit déjà l’avenir : échanges entre les peuples, construction de la paix, rôle de l’Église. Elle cite saint Thomas ou raconte son expérience de combat au sein du parti communiste, Maria, militante de la liberté.
    *
    * *
    Des heures ont passé. Le soir descend. Une « chef de block » vient secouer durement les vieilles Russes pour les obliger à aller chercher les lourds bidons de soupe. Je me sens dans l’ombre de Maria réconfortée et plus sereine. Et, cependant, dans quelques instants il me faudra rentrer dans ma baraque sordide, affronter les hurlements d’une mégère, l’indifférence ou la brutalité des autres prisonnières.
    Maria, Maria, où trouverai-je la joie ?
    *
    * *
    Maria me tient la main et nous sortons ensemble dans les allées du camp. Les femmes rentrent du travail, lasses, usées, avec des figures grises.
    « Comme le ciel est beau » dit Maria. « C’est comme un immense incendie au-dessus des murailles. Si j’étais allée travailler aux marais aujourd’hui, j’aurais vu cette étonnante lumière pourpre se refléter sur le lac. Demain il y aura de la brume, des mouettes rentreront vers les dunes de sable et peut-être entendrai-je la sirène d’un bateau qui à travers le brouillard cherche sa voie vers la Baltique.
    « Et après-demain c’est dimanche. Le matin, si je puis échapper au travail, j’irai prier au block 15 où les Françaises lisent la messe. L’après-midi les religieuses polonaises chantent les Vêpres. Et le soir je retrouverai les soldates russes. Je sais déjà le polonais et j’ai appris assez de russe pour comprendre. Il y en a une qui raconte la bataille de Stalingrad. C’est la femme d’un colonel. Elle improvise des poèmes. Il faudra venir avec moi, dimanche, n’est-ce pas ?
    *
    * *
    La vieille Maria me quitte au seuil de ma baraque. Elle est morte un mois après notre rencontre. De misère, d’usure, de tout. Une camarade lui a porté des fleurs les derniers jours. Maria, notre vieille Maria, Maria l’humaine.

XXI
RAVENSBRÜCK, CAMP D’EXTERMINATION
    Des médecins allemands se livrèrent à Ravensbrück, comme dans tous les autres camps de concentration, à des expériences médicales sur ce « matériel humain » mis gracieusement à leur disposition par Himmler. Aux côtés de ces médecins criminels, souvent sous le même toit du même Revier, d’autres médecins – médecins déportés – réalisèrent de véritables « miracles médicaux » en sauvant sans médicaments, sans instruments chirurgicaux, avec leur seule volonté, leur seul courage, des centaines, des milliers de co-détenus. À Ravensbrück, comme dans tous les camps de concentration, des enfants vécurent et moururent. À Ravensbrück comme dans le camp féminin d’Auschwitz des déportées, arrêtées alors qu’elles attendaient un enfant, accouchèrent. Je pense qu’il est inutile, dans ce dossier, de revenir sur les crimes du professeur Gebhart, sur les souffrances, de ces soixante-quatorze étudiantes polonaises sacrifiées ou mutilées par les expérimentateurs, sur ces « antichambres de la mort » qu’étaient les Reviers, sur l’incroyable survie de Guy Poirot, Sylvie Aylmar et Jean-Claude Passerat – tous trois Français – nés à Ravensbrück et seuls survivants de ces enfants oubliés, assassinés, plusieurs chapitres des Médecins Maudits et des Médecins de l’Impossible (xcviii) étant consacrés à ces sujets. Peut-être, à propos des enfants de

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