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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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d’heure que durait cette trop courte promenade pour nous réchauffer.
    Lorsque nous descendions de notre perchoir, nous étions rouges et congestionnées, mais nous avions enfin chaud. C’était si bon d’avoir chaud entre deux heures et trois heures du matin, quand, depuis cinq heures de l’après-midi, nous grelottions dans une usine où plus une seule vitre ne tenait aux fenêtres, et où le chauffage ne marchait pas (par suite des bombardements massifs, il ne restait plus grand-chose de ces bâtiments). Mais, à l’arrivée de notre bain de vapeur, se trouvait une Aufseherin, la schlague à la main. Car, entre ces deux murs chauffants, il nous était impossible de descendre de notre perchoir. Donc, à la sortie, toutes amollies de chaleur, de faim, de fatigue, de sommeil, une raclée magistrale nous tombait sur le dos.
    En quelques instants nous redevenions de pauvres êtres mous et désarticulés qui se traînaient à terre comme des pantins.
    L’aile était ensuite peinte au pistolet. Les Allemands n’étaient pas difficiles quant à la couleur des ailes. La Grande Allemagne n’était même plus capable de produire de la peinture, et on utilisait tous les vieux stocks. Les ailes étaient tantôt argentées, tantôt vertes ; elles furent même bleues. Bien entendu, une immense croix gammée les recouvrait, ainsi qu’une inscription allemande. Elles étaient peintes aussi de diverses couleurs disposées en vagues, dans les tons bruns, afin de les camoufler.
    Enfin, lorsqu’elles sortaient de l’atelier de peinture, elles étaient terminées. Une grande grue les transportait dans le hall où, bien disposées, six dans un sens et six dans l’autre, elles finissaient de sécher, séparées les unes des autres par des morceaux de bois et de carton. Nous avons pu voir cinq à six cents ailes entreposées dans le hall pour disparaître un beau jour.
    Lorsque neuf heures sonnaient, nous avions une pause d’un quart d’heure. Pendant quelques mois, les Aufseherinnen et les Stubowas nous distribuèrent une demi-louche d’une sorte de liquide noirâtre que l’on appelait un café et qui avant le grand avantage d’être chaud. Les derniers mois, le café fut totalement supprimé ; nous le regrettâmes sincèrement, car ce breuvage assez détestable nous réconfortait momentanément. Mais il fallait tellement se battre pour arriver à en obtenir, que beaucoup d’entre nous préféraient y renoncer. Une centaine de bols blancs étaient posés sur une sorte de tréteau qui formait, à lui tout seul, un problème sur l’équilibre des corps. Alors, imaginez une affreuse ruée de cinq cents filles environ… : que de fois les bols étaient projetés à terre, et les représailles tombaient…
    Puis le travail reprenait. Une immense horloge sonnante était en somme, avec les quelques petits oiseaux qui vivaient là-haut, au milieu de ce qui restait des vitres, nos seules distractions douces dont nous avons gardé le souvenir de notre séjour en Allemagne. À midi, sonnerie. Le travail s’arrêtait jusqu’à une heure moins le quart. Les prisonnières se mettaient en rangs, toujours cinq par cinq, sous la garde vigilante et brutale des S.S. On ne comptait pas, mais c’était seulement une brimade pour nous faire comprendre que pas un seul instant nous n’avions notre self-contrôle.
    Nous défilions au milieu de l’usine, jusqu’à son extrémité. Nous devions nous mettre en un long ruban deux par deux. Évidemment, du nombre impair que nous étions quelques instants plus tôt, au nombre pair où nous devions nous ranger, il se produisait des bagarres, les filles se battaient, s’injuriaient.
    L’Aufseherin intervenait avec sa schlague. Nous savions bien que c’était l’heure d’aller à la soupe et qu’il valait mieux essayer d’arriver dans les premières afin d’espérer pouvoir s’asseoir sur un banc et en avoir une assiettée quasiment pleine. De toutes façons, il était plus prudent, à ce moment-là, d’ôter ses lunettes si on en portait, car si elles n’étaient pas brisées sous les coups, c’était un miracle.
    Puis, la colonne s’ébranlait doucement. Il fallait descendre un étage, puisque le réfectoire était au sous-sol. Il n’était pas difficile, à l’odeur, de savoir qu’on allait avoir une soupe de rutabagas. Quelquefois, la soupe était aux choux, quelquefois à la betterave rouge ; le dimanche, nous en avions une aux carottes.
    Les Françaises, afin de se

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